Au travers d’un grand projet d’extension, le Musée des Temps Barbares de Marle affirme désormais sa vocation départementale. Ouvert depuis 1991, ce musée de site est consacré au Haut Moyen Age et plus précisément à la période mérovingienne.

Article paru dans Histoire et images Médiévales (N°5), par Didier Bayard, Alain Nice (Musée des Temps Barbares).

Il présente au public l’essentiel du mobilier archéologique découvert sur le site de Goudelancourt les Pierrepont (Aisne) : nécropole et habitats des VIe et VIIe siècles après J.C.

Unique en France, le Musée est maintenant associé à un vaste Parc Archéologique de plus de 4 hectares, véritable musée de plein air où plusieurs reconstitutions grandeur nature d’habitats mérovingiens sont proposées au public. Toutes ces reconstitutions ont été réalisées sous le contrôle d’un comité scientifique composé de spécialistes français de la période.

Après avoir visité une ferme mérovingienne reconstituée depuis 1993 d’après les fouilles du site archéologique de Goudelancourt les Pierrepont (maison d’habitation associée à des cabanes ateliers), le visiteur peut maintenant découvrir un village franc complet, reconstitué d’après les fouilles du site archéologique de Juvincourt-et-Damary (Aisne).

L’habitat mérovingien du « Gué de Mauchamp » à Juvincourt et Damary (02)

Le site du  » Gué de Mauchamp  » à Juvincourt-et-Damary, dans le département de l’Aisne, est l’un des rares habitats mérovingiens qui aient fait l’objet d’une fouille presque complète et dont le plan laisse transparaître clairement l’organisation générale et la disposition des bâtiments qui le composaient. À ce titre, il est probablement le site qui se prête le mieux à une reconstitution dans la moitié nord de la France.

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Avant sa destruction par les travaux de construction de l’autoroute A26 qui traverse la vallée de l’Aisne à cet endroit, le site a fait l’objet de fouilles de sauvetage par le service régional de l’archéologie de Picardie sous la direction de Didier Bayard entre les années 1984 et 1990. Plusieurs milliers de structures archéologiques, trous de poteau, fosses, silos, fossés, sépultures, ont été fouillés et enregistrés sur plus de 5 hectares, correspondant à 6000 ans d’occupation humaine. Celle du Haut Moyen Âge ne représente que la dernière des 9 ou 10 grandes phases d’occupation reconnues.

L’habitat du haut Moyen Âge a été précédé notamment par une villa romaine qui a été abandonnée au début du Ve siècle, à la suite de la grande invasion germanique de 406.

Le hameau ouest, qui a fait l’objet de la fouille et qui est entièrement détruit aujourd’hui, regroupait aux VIe et VIIe siècles une dizaine de grands bâtiments édifiés sur une armature de poteaux plantés dans le sol. Certains servaient manifestement d’habitations. D’autres ont pu avoir une utilisation mixte (habitation-étable). D’autres enfin étaient probablement des ateliers, des remises ou des greniers. Chacune des quatre ou cinq unités domestiques que l’on peut identifier dans ce hameau comportait aussi plusieurs petits bâtiments annexes semi-enterrés ou établis sur vide sanitaire et qui pouvaient servir à différents usages (ateliers de tissage, remises à outils, garde-manger, poulaillers ou petites étables).

plan-fouilles-juvincourtCes cabanes semi-enterrées sont typiques des sites du haut Moyen Âge et se rencontrent dans toute l’Europe entre la fin de l’empire romain et l’an Mil.

C’est cet ensemble complet qui a été entièrement reconstitué grandeur nature à Marle. La reconstitution de tels ensembles architecturaux, documentés par les seules traces de leurs fondations, le plus souvent de simples trous de poteau, pose de nombreux problèmes d’interprétation à différents niveaux. Elle présuppose notamment une identification des fonctions des bâtiments qui est souvent hasardeuse. Rappelons-nous que la quasi-totalité des constructions de cette époque étaient réalisées en bois et en terre (le plus souvent en torchis). Seules les fondations utilisaient parfois la pierre. Généralement, la charpente était établie sur un réseau de poteaux plantés dans le sol ; ce sont souvent les seules traces que les archéologues retrouvent.

Le site de Juvincourt-et-Damary ne se distingue pas particulièrement de ce point de vue. Il ne subsistait effectivement que des trous de poteau creusés dans le sol, en tout cas pour l’état des VIe et VIIe siècles. Les sols d’occupation avec leurs aménagements domestiques, foyers, seuils de porte, avaient disparu. Le site a livré cependant un certain nombre d’indices qui ont permis de préciser l’organisation du hameau, de définir la fonction des principaux bâtiments, et d’orienter les reconstructions de manière assez sûre.

S’il subsiste des incertitudes, en définitive, les reconstructions proposées ne constituent qu’une des nombreuses possibilités envisageables. Elles combinent à la fois des acquis scientifiques, des hypothèses qu’il est difficile de vérifier et une part d’imagination que l’on ne saurait nier. Ces reconstitutions ne prétendent pas reproduire la stricte réalité de nos ancêtres, mais proposent une fiction la plus vraisemblable possible.

Le hameau ouest du  » Gué de Mauchamp  » au milieu du VIe siècle

La reconstitution

Le hameau du  » Gué de Mauchamp  » a été reconstitué selon l’apparence qu’il pouvait avoir au milieu du VIe siècle, sous le règne des fils de Clovis.

À l’époque, le hameau existait depuis un quart de siècle. Il rassemblait trois ou quatre unités domestiques regroupées autour d’une ferme plus importante, peut-être celle du propriétaire des lieux. Sa maison se trouvait au nord-est, à l’intérieur d’un enclos palissadé qui ouvrait sur le reste du hameau par un porche monumental (maison 5). Elle nous est parvenue dans un état de conservation médiocre et sa restitution est très hypothétique.

Les bâtiments principaux :

Trois ou quatre autres unités domestiques sont réparties autour de l’unité principale, à l’ouest et au sud. Elles se composent d’une habitation plus ou moins grande et de plusieurs fonds de cabane. Les cinq habitations du hameau sont construites selon les mêmes principes : un vaisseau rectangulaire régulier d’une largeur de 4,50 m à 4,80 m, dont la charpente repose sur des murs porteurs et partiellement sur des poteaux axiaux qui soutiennent la poutre faîtière. Les murs sont ancrés dans le sol par des poteaux disposés assez régulièrement, tous les deux mètres.
En dépit de différences de taille, ces bâtiments ont tous en commun un module semblable: il s’agit d’un module de base rectangulaire de 12 pieds sur 15, soit 3,60 m sur 4,50 m, avec une variante de 17 pieds (5,20 m), libérant un espace interne de 15 à 20 m2 (il s’agit de mesures internes ; l’on comptait à l’époque en pieds ; la valeur du pied mérovingien n’est pas connue précisément, mais elle se situe autour de 30 cm). Il est vraisemblable que cet espace, qui est parfois séparé du reste de la construction par une cloison, servait de chambre ou de pièce à vivre. Dans les plus grands bâtiments, ce module est disposé transversalement et se combine avec des modules de 12, 15 ou 25 pieds. Dans ce cas, la chambre se trouve à l’extrémité du bâtiment la moins exposée aux vents dominants, à l’est ou au sud. Le redoublement des poteaux autour de cette pièce laisse supposer, au moins dans certains cas, l’aménagement d’un étage au-dessus qui pouvait servir de chambre à coucher, de remise ou de grenier à foin.

Les bâtiments secondaires :

A proximité de ces principaux bâtiments, plusieurs petites constructions se concentrent dans la partie nord, entre l’enclos principal et le bâtiment 4. Cette zone correspond à un quartier artisanal, où se mêlaient des remises et de petits ateliers. Étant donné l’enchevêtrement des constructions dans ce secteur, il est impossible d’en assurer une reconstruction fidèle.

Les cabanes semi-enterrées

Plus de 80  » fonds de cabane  » (ou cabanes semi-enterrées) ont été reconnus sur le site du  » Gué de Mauchamp « , dont la moitié datent des VIe et VIIe siècles. Leur faible longévité explique leur grand nombre. Ces constructions sommaires aux murs et toits mal isolés de l’humidité du sol étaient faciles à mettre en œuvre, mais d’une durée de vie limitée à une ou deux décennies, rarement plus. Le nombre de cabanes en usage en même temps n’a probablement jamais dépassé la quinzaine, c’est-à- dire entre 3 et 5 par unité domestique. Ces édicules relèvent d’un type architectural simple et relativement uniforme. Il en existe quatre types principaux, à deux poteaux axiaux, à quatre poteaux d’angle, à 6 poteaux (dans l’axe et aux angles), et avec des murs établis sur sablières basses.
La répartition des fonds de cabane autour des bâtiments principaux ou leur regroupement dans des zones particulières confirment leur utilisation comme annexes artisanales (pour le filage de la laine notamment) mais aussi comme poulaillers ou étables pour de jeunes animaux. Certains de ces bâtiments étaient peut-être pourvus d’un plancher, et l’excavation jouait dans ce cas le rôle d’un cellier.

Les greniers

Au moins deux greniers à quatre poteaux ont été identifiés. Ils servaient principalement au stockage des céréales et étaient construits en hauteur pour protéger la récolte des rongeurs.

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Les bâtiments principaux

Le bâtiment 1

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Le bâtiment 1 est l’édifice le plus grand du hameau. Il mesure un peu moins de 16 m de longueur sur un peu plus de 4,50 m de large. Il s’ouvrait par une large porte au milieu de son côté sud. Il est probable qu’une entrée plus étroite lui correspondait au nord. Il s’agit très vraisemblablement d’un bâtiment mixte associant une partie habitée à une étable.

La partie habitée devait se situer à l’extrémité est. L’on y retrouve le module de base de 12 pieds sur 15 pieds. Le redoublement des poteaux dans cette partie suggère la présence d’un étage au-dessus.

Le reste du bâtiment était peut-être réservé au gros bétail comme le laisse supposer l’absence de poteaux porteurs de la faîtière dans l’axe du bâtiment. La poutre faîtière devait être soutenue par une série de fermes transversales reposant à leurs extrémités sur des sablières hautes.

À l’exception d’un petit fond de cabane à quatre poteaux qui correspondait peut-être à un grenier, il y a peu d’annexes autour du bâtiment 1, ce qui s’accorderait bien avec l’hypothèse d’une étable abritant sous le même toit animaux et gardien.

Le bâtiment 2

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Le bâtiment 2 est celui qui a apporté les informations les plus décisives sur la structure et l’organisation des grands bâtiments mérovingiens du  » Gué de Mauchamp « , en dépit de sa destruction partielle par une tranchée de la première guerre mondiale. Il mesurait un peu plus de 11 m sur près de 5 m de large.

Il est avéré qu’il s’ouvrait sur l’extérieur par deux portes, une porte de 1,80 m de large, abritée par un porche, au sud, et une porte plus étroite au nord. L’espace interne était divisé en deux parties par une cloison, une pièce correspondant au module de base à l’est, et une grande pièce à l’ouest dont l’usage est indéterminé, salle commune ou abri pour les animaux (étable, bergerie ?).

La poutre faîtière et l’ensemble de la charpente reposaient sur des sablières hautes et sur des poteaux axiaux. Cette maison a fait l’objet en 1986 d’une première reconstitution aujourd’hui détruite, dans l’enceinte de l’abbaye Saint Jean des Vignes, à Soissons.

Le bâtiment 3

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Le bâtiment 3 est une petite construction de 4,50 m sur 6 m située près du bâtiment 2. À plusieurs égards, il s’apparente aux grands bâtiments. Il correspond à une variante du module de base, mais disposé longitudinalement. La longueur atteint 17 pieds au lieu de 15. Il dispose d’un porche sur le côté sud. Il s’agit vraisemblablement d’une habitation ayant une surface habitable de l’ordre de 20 m².

Le bâtiment 4

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Le bâtiment 4 est orienté selon un axe nord-sud, contrairement aux autres grands bâtiments. Il mesure 9 m de long sur un peu moins de 5 m de large. Une annexe située dans son prolongement au nord porte la longueur totale à 12 m.

Le bâtiment 4 a connu plusieurs phases de construction qu’il est difficile de définir précisément. Il s’ouvrait probablement au milieu de son côté ouest par une porte de 1,20 m. Une porte ouvrant de l’autre côté est également possible.

L’on retrouve au sud une pièce correspondant au module de base de 12 sur 15 pieds, probablement fermée par une cloison. Le reste de l’espace interne pouvait être utilisé comme salle commune ou pour abriter des animaux.

La charpente était supportée par des sablières hautes établies sur les murs et par trois poteaux axiaux. Le bâtiment était prolongé au nord par un appentis de 3 m de large et une cour fermée. Au moins trois cabanes semi-enterrées lui étaient associées.

Le bâtiment 5

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Le bâtiment 5 se trouve à l’extrémité nord-est à l’intérieur de l’enclos palissadé. Il est difficile d’en préciser l’organisation interne étant donné les multiples reconstructions qu’il a subies.

Cependant, ses dimensions l’apparentent aux autres grands bâtiments. Sa largeur est un peu supérieure à 4,50 m. Sa longueur atteint probablement 12 m. Une cloison semble isoler une grande pièce de 5 m de large (15 pieds sur 15), à l’est, du reste de l’espace interne.

Un foyer a été mis au jour dans la partie ouest, ce qui induirait l’hypothèse d’une salle commune. Mais il n’est pas assuré que ce foyer corresponde à l’état du milieu du VIe siècle. Le bâtiment s’ouvrait sur la cour, au sud, par une porte de 1,50 m de large.

Divers indices amènent à penser qu’il s’agissait de la maison du personnage le plus important du hameau, peut-être le propriétaire des lieux.

Les bâtiments secondaires

Plusieurs petites constructions se concentrent dans la partie nord, entre l’enclos principal et le bâtiment 4. Cette zone correspond à un quartier artisanal, où se mêlaient des remises et de petits ateliers. Étant donné l’enchevêtrement des constructions dans ce secteur, il est impossible d’en assurer une reconstruction fidèle.

Les cabanes semi-enterrées

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Plus de 80  » fonds de cabane  » (ou cabanes semi-enterrées) ont été reconnus sur le site du  » Gué de Mauchamp « , dont la moitié datent des VIe et VIIe siècles. Leur faible longévité explique leur grand nombre.

Ces constructions sommaires aux murs et toits mal isolés de l’humidité du sol étaient faciles à mettre en œuvre, mais d’une durée de vie limitée à une ou deux décennies, rarement plus. Le nombre de cabanes en usage en même temps n’a probablement jamais dépassé la quinzaine, c’est-à- dire entre 3 et 5 par unité domestique.

Ces édicules relèvent d’un type architectural simple et relativement uniforme. Le principe consiste à édifier avec un minimum de moyens un bâtiment au-dessus d’une excavation de petite taille (de 3 à 4 m de long sur 2,50 m à 3 m de large).

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Il en existe quatre types principaux, à deux poteaux axiaux, à quatre poteaux d’angle, à 6 poteaux (dans l’axe et aux angles), et avec des murs établis sur sablières basses. Ce dernier type est plus difficile à mettre en évidence, mais son existence est attestée, notamment à Juvincourt-et-Damary. La surface utilisable varie selon la taille de l’excavation et le type de support du toit entre 5-10 m2 et 15 m2.

On a longtemps cru que ces petites constructions que l’on trouve fréquemment sur les sites d’habitat du haut Moyen Âge servaient d’habitations, faute de pouvoir découvrir les grands bâtiments établis sur poteaux plantés, ce qui a induit une image extrêmement négative de la qualité de vie de nos ancêtres.

Il est admis aujourd’hui que ces fonds de cabane n’ont servi d’habitations qu’exceptionnellement, spécialement au Ve siècle, pendant les grandes invasions. Les rares exemples d’habitations semi-enterrées se distinguent d’ailleurs par leurs dimensions qui dépassent les 15 m2 et peuvent atteindre 20 m2.

La répartition des fonds de cabane autour des bâtiments principaux ou leur regroupement dans des zones particulières confirment leur utilisation comme annexes artisanales (pour le filage de la laine notamment) mais aussi comme poulaillers ou étables pour de jeunes animaux. Certains de ces bâtiments étaient peut-être pourvus d’un plancher, et l’excavation jouait dans ce cas le rôle d’un cellier.