Aperçu provisoire d’une unité agricole et domestique des VIe et VIIe siècles – par Alain Nice.

Cet article est paru dans : Revue Archéologique de Picardie N°1-2 1994

Le contexte historique

Le village de Goudelancourt-les-Pierrepont, sur le terroir duquel une nécropole et un habitat du haut Moyen Age ont été fouillés, se situe au nord-est du département de l’Aisne à une vingtaine de kilomètres de la ville de Laon.

Ce village est attesté dès les XI-XIIe siècles : Gundelani Curtis en 1095 ; Gundelencourt en 1166 ainsi que sa dépendance, la ferme de Beauvois (Biauvoir en 1156, Bellus Visus) à proximité de laquelle se situe le site archéologique. Cette ferme, possession de l’abbaye Saint-Martin de Laon, possède encore de nos jours une chapelle (MELLEVILLE, 1865).

De nombreux vestiges archéologiques d’époque gallo-romaine furent découverts sur le territoire de cette commune, notamment au siècle dernier (bronzes et objets divers déposés au Musée de Laon).

A l’époque gallo-romaine, le site de Beauvois se trouvait en jonction de deux importantes voies anciennes : le  » Chemin de Reims  » reliant Saint Quentin / Marle à la voie romaine Reims / Bavay à la hauteur de Chaourse / Montcornet. De nombreux vestiges gallo-romains témoignent de la relative importance de cette zone carrefour .
Le toponyme de Goudelancourt, formé à partir d’un anthroponyme germanique  » curtis  » et d’un nom latin, ne permet pas d’avancer une datation précise mais témoigne cependant de la continuité de l’occupation du sol aux époques mérovingienne et carolingienne (LUSSE, 1992).

De même, la dédicace de l’église de Goudelancourt en l’honneur de Saint Martin, évêque de Tours, atteste une origine ancienne, peut-être mérovingienne (LUSSE, 1992).

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A proximité immédiate se situe le village ce Pierrepont dont l’église est dédiée dès 886 à Saint Boétien, ermite irlandais qui serait mort dans ce village vers 668 (MELLEVILLE, 1865 ; LUSSE, 1992).

La découverte à Goudelancourt, au lieu-dit,  » Les Fontaines « , d’une nécropole et d’un habitat de l’époque mérovingienne n’a fait que confirmer ces données.

Présentation générale du site

La nécropole et les structures d’habitat de Goudelancourt se situent aux confins nord de cette commune, au lieu-dit  » Les Fontaines « , en limite du terroir du village voisin, Cuirieux.

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Ce village de Cuirieux est situé à environ un kilomètre à l’ouest. Sur son terroir, de nombreux vestiges d’époque gallo-romaine ont été découverts à l’occasion de récentes prospections de surface, notamment un vicus et diverses sépultures à incinération le long de l’ancienne voie appelée  » Le Chemin de Reims « , à moins d’un kilomètre du site de Goudelancourt.

Cette ancienne voie est toujours utilisée en grande partie comme chemin rural. Aujourd’hui disparue sur 500 mètres du fait du remembrement, elle coupait la vallée du Cornu en diagonale pour rejoindre les fermes de Beauvois situées à environ 1 kilomètre au sud de la nécropole et de l’habitat.

La nécropole était située au sommet d’une colline crayeuse séparant la  » Grande Vallée  » au sud de la  » Vallée des Grands Bois  » au nord et formant ainsi une sorte d’éperon orienté sud sud-ouest / nord nord-est (sur la nécropole, voir l’article et le plan).

C’est au pied de cette colline que passait la voie antique  » Le Chemin de Reims  » coupant en diagonale la vallée dans laquelle coule encore par intermittence le Cornu, ruisseau alimenté par les eaux de ruissellement.

La nécropole

La nécropole comporte deux noyaux composés respectivement de 324 et 134 sépultures. Le mobilier mis au jour est relativement important et est représentatif des VI et VIIe siècles. L’étude de la chronologie relative par permutation matricielle a permis de mettre en évidence plusieurs phases d’occupation : la phase B, C, D, vers 530/40 à environ 560/70 ; la phase C,D,E, (560/70 – 580/90) où apparaît le second noyau qui connaît, comme le premier cimetière, un développement concentrique avec les phases D,E,F, (580/90 – 620/40) et F,G, (620/40 – >680).

La configuration de cette nécropole en deux noyaux permet d’avancer l’hypothèse qu’un groupe familial, désireux de se distinguer du reste de la communauté, peut-être plus christianisé d’où l’orientation des fosses nettement est-ouest, aurait pu se faire inhumer séparément des autres.

L’habitat

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Les structures correspondant à l’habitat, découvertes fortuitement, ont fait l’objet de quatre campagnes de fouilles en 1988, 1989, 1991 et 1992. Elles sont toutes localisées au pied de la colline, sur le versant sud à 150 m de la nécropole (secteur 1) à l’exception de deux d’entre elles situées plus à l’ouest (secteur 2).

Les structures les plus au nord ont été localisées dans la pente à une profondeur de 0,50m tandis que les grandes constructions de surface, au sud, ont été rencontrées sous une couche de limon variant de 1m à 1,50m, limon provenant en grande partie de l’érosion naturelle de la colline. Toutes ces structures se situent en rupture de pente, en bordure de la vallée, à l’abri de toute inondation. A l’extrême sud de la zone fouillée, les niveaux archéologiques se trouvent actuellement à 2m de profondeur.

L’habitat : l’organisation de l’espace

Alors que sur d’autres sites de même nature on observe souvent une dispersion des structures, l’habitat de Goudelancourt présente, lui, une certaine organisation et toutes les composantes d’une unité agricole et domestique d’époque mérovingienne : maison d’habitation, puits, bâtiments annexes et cabanes excavées.

Cet ensemble constitue probablement l’unité de base d’un habitat rural du haut Moyen Age. A l’exception d’une petite parcelle inexplorée, située au sud-ouest de la zone principale de fouille, la quasi-totalité des structures fouillées se répartissent sur une surface d’environ 1,5ha au pied de la colline. Étant donné les importants volumes de terre à déplacer, la zone de fouille n’a pas pu s’étendre plus au sud, au fond de la vallée, où il était peu probable de découvrir d’autres structures (zone inondable). Par contre, les limites de cet habitat ont été atteintes au nord, au nord-ouest comme à l’est.

Le secteur 1 présente l’organisation suivante :

  • Au sud, sur une bande de terrain longue d’une centaine de mètres et large d’une trentaine de mètres, s’échelonnaient cinq constructions de grande taille à ossature de poteaux de bois. Ces constructions sont presque toutes protégées par des fossés de drainage pour les eaux de ruissellement. Si deux de ces constructions ont un plan difficile à interpréter, les trois autres correspondent clairement à des bâtiments de surface quadrangulaires construits sur poteaux, bien alignés et orientés est-ouest. L’un d’eux, comportant un âtre, est de toute évidence une maison d’habitation. Les autres bâtiments correspondent probablement à des annexes de type atelier (forge), étable, voire grenier-grange, à moins que pour l’un d’entre eux il s’agisse d’un habitat secondaire. Au centre de cette zone un puits constitue l’unique point d’eau de cet habitat.
  • Au nord, on trouve 14 cabanes excavées.

Ces cabanes à ossature de poteaux de bois sont de différents types : 2, 4, 6 poteaux. Trois d’entre elles sont relativement isolées (cabane 1000 au nord-ouest, 1005 au nord et 1051 au nord-est). Les autres cabanes sont regroupées au centre.

Six d’entre elles, associées à un four (1073) et à un foyer (1048), semblent s’organiser autour d’un espace vide de toute structure (cour, aire quelconque de travail ?) : cabanes 1015, 1016, 1018, 1020, 1022 et 1031.

Trois autres cabanes (1036, 1025 et 1012), voisines l’une de l’autre, sont à mettre en relation avec diverses fosses oblongues dont l’usage nous échappe, et les vestiges probables d’un bas fourneau.

A toutes ces cabanes s’ajoutent de nombreuses fosses et foyers, éparpillés sur toute la zone avec cependant une relative concentration à l’est.

Les fouilles n’ont révélé aucune trace de clôtures, fossés ou tranchées de palissade, ni au sein même de cette unité agricole, ni à l’extérieur.

Les grandes constructions de surface

La construction A

plan-construction-aMalgré les nombreux trous de poteaux découverts dans cette zone (une trentaine), il ne nous a pas été possible de restituer le plan de la construction à ossature de poteaux de bois qui devait exister.

Beaucoup de ces trous de poteaux étaient difficilement repérables au décapage car, pour certains, dépourvus de calage de pierres. Par contre, tous ceux creusés dans le banc de craie constituant le sous-sol ont été facilement localisés.

Tous sont de section ronde, d’un diamètre variant de 0,20m à 0,35m et d’une profondeur de 0,10m à 0,30m. Rares sont ceux qui permettent d’avoir une idée précise des sections de bois utilisées : les diamètres des trous de poteaux découverts correspondent généralement à des avant-trous dans lesquels les poteaux de bois étaient positionnés puis maintenus verticalement à l’aide d’un calage de pierres.

Seul le trou de poteau 1120 laisse apparaître très nettement un poteau de bois d’un diamètre de 0,15m.

Certains de ces trous de poteaux de même dimension semblaient s’organiser par paires (1120-1117) ou selon certains alignements (1104-1103-1102 ; 1108-1089-1088) sans pour autant correspondre à des poteaux de bois composant l’ossature de murs.

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A ces trous de poteaux individuels, plus ou moins alignés, s’ajoutent une paire de doubles poteaux de grosses sections (1119 et 1110-1111) qui de toute évidence devaient avoir une fonction précise et supporter une lourde charge.

La fosse 1119 contenait deux trous de poteaux accolés d’un diamètre de 0,30m pour une profondeur de 0,25m et 0,40m.

La fosse 1110-1111 correspondait, elle, à un assez grand avant-trou de 0,75m de long sur 0,40m de large contenant deux poteaux solidement calés par un blocage de pierres. La forme du trou de poteau 1110 peut laisser supposer que le poteau de bois utilisé avait été équarri (empreinte nettement rectangulaire).

Distants l’un de l’autre d’un peu plus de 5m, ces doubles poteaux ne peuvent être mis en relation directe avec les nombreux trous ou poteaux voisins.
Une telle quantité de trous de poteaux répartis même anarchiquement sur une aussi petite superficie (200m²) correspond très vraisemblablement à une construction de plain-pied à ossature de poteaux de bois, mais dont le plan demeure énigmatique.

Cette hypothèse tend à vérifier par la découverte au niveau des poteaux 1120-1113-1117 et 1114 d’un sol d’occupation nettement en place, invisible ailleurs, constitué d’une terre très brune épaisse d’une dizaine de cm.

Il convient cependant d’envisager la possibilité que les trous de poteaux découverts dans ce secteur n’appartiennent pas forcément tous à une seule et même construction. Certains pouvaient correspondre à des poteaux de clôture, d’enclos attenant à cette construction.

Le bâtiment B

GLP-batiment-BCette construction se situe au sud-ouest de la zone fouillée, en bordure du chemin rural. Orientée est-ouest, perpendiculairement à la pente naturelle du terrain, elle est construite en partie sur le banc de la craie qui constitue le substrat (poteaux A à O) et sur le limon (poteaux P, Q et R).

Il s’agit d’une construction à une ou deux nefs à ossature de poteaux de bois, de forme légèrement trapézoïdale augmentée à l’ouest d’un petit appentis.

Le bâtiment principal a une longueur de 6m pour une largeur de 7m. La panne faîtière est supportée essentiellement par deux poteaux porteurs, le poteau A (diam. 0,45, profondeur 0,30m) et le double poteau E-D (diam. 0,30 et 0,22m, profondeur 0,25 et 0,08m) renforcés par deux poteaux intermédiaires B et C (diam. 0,20m). Ces deux poteaux sont régulièrement espacés de 2m en 2m (A, B, C, D, E).

L’ossature des murs nord et sud est composée de 4 poteaux porteurs : J, I, H et le double poteau G-F pour le mur nord ; P, R et Q pour le mur sud (un poteau intermédiaire ayant probablement été détruit par le fosse 1123). Ces poteaux supportaient les sablières hautes et les deux entraits. Malgré la forme trapézoïdale de cette construction les deux murs latéraux sont rigoureusement parallèles. Tous les poteaux étaient de section ronde, d’un diamètre allant de 0,30 à 0,40m pour les poteaux corniers (J, F-G et P, Q) et d’un diamètre moyen de 0,20m pour les poteaux latéraux intermédiaires.

Seuls les poteaux P et Q possédaient encore un calage de pierres. Les poteaux creusés directement dans la craie étaient bien visibles au décapage puis à la fouille. Ceux creusés dans le limon ont été repérés essentiellement grâce aux pierres de calage et aux fragments de charbon de bois correspondant à la décomposition de cette matière.

Une porte d’entrée a vraisemblablement été aménagée dans l’angle du pignon nord-ouest entre les poteaux K et J espacés d’un mètre environ. C’est d’ailleurs dans cette zone, constituée d’un remplissage très foncé avec une grande quantité de charbon de bois, qu’a été découverte une grande partie du matériel (zone 4).

L’appentis appuyé au pignon ouest est construit là aussi à partir d’une ossature de poteaux de bois L, S, N, O, R délimitant une construction de forme trapézoïdale aux dimensions modestes (3,5 X 2,5m). De part et d’autre de cet appentis, deux fosses avaient été creusées et renfermaient d’assez nombreuses scories de fer, en particulier dans la fosse nord (longue et étroite de 2 X 0,60m et profonde de 0,40m).

Au sud de cette construction, une double fosse (1123) de 4,60m de long sur 2m de large, profonde d’un mètre a été découverte et fouillée. Cette fosse était recoupée en partie par une autre fosse circulaire de 2m de diamètre dont le remblai était sensiblement différent de la précédente (nombreux blocs de pierres associés à une terre brun foncé comportant beaucoup de charbon de bois en fond de fosse).

La plus grande des deux fosses est certainement contemporaine de la construction de ce bâtiment. Il pourrait s’agir de la fosse aménagée pour extraire le limon nécessaire à la composition du torchis (une expérimentation a été effectuée sur place et s’est révélée très concluante). La fabrication du torchis terminée, cette fosse a vraisemblablement été utilisée ensuite comme fosse et comblée progressivement.

La construction C

GLP-construction-CComme pour la construction A une vingtaine de trous de poteaux ont été découverts et fouillés sur une petite superficie (100m²) dans une zone située au sud-est de la construction A et à l’ouest du puits 1145.

Malgré certains alignements de trous de poteaux et d’autres indices, là encore, il nos a été impossible de mettre en évidence le plan précis d’une construction à ossature de poteaux de bois.

Ces trous de poteaux correspondent à une construction bâtie en partie sur le banc de craie (zone nord) et sur le limon (zone sud) en fonction de la déclivité naturelle du terrain, dans un endroit où le substrat crayeux disparaît au profit du limon de fond de vallée.

La quasi-totalité de ces trous de poteaux sont de section ronde d’un diamètre variant de 0,20 à 0,35m pour une profondeur de 0,15 à 0,30m. Il convient cependant de distinguer ceux creusés dans le banc de la craie de ceux creusés dans le limon et inclus dans une sorte de blocage de pierre constituant une assise, une fondation sommaire.

En effet, parallèlement aux poteaux isolés creusés dans la craie (1152-1154-1149-1159…) la fouille a permis de mettre au jour un aménagement particulier constitué d’une tranchée peu profonde creusée dans le limon, remplie d’un solide appareillage de pierres, silex et ossements divers (appareillage quasi identique à l’entourage de pierres du puits). Dans ce blocage de pierres particulièrement compact, plusieurs trous de poteaux d’un diamètre de 0,20 à 0,30m avaient été aménagés (1135, 1136, 1137, 1151,1148). De toute évidence, ce blocage, visible au sud sur plus de 5m de long et large d’environ 0,80m par endroits, constitue une sorte de fondation destinée à recevoir un mur ou supporter une sablière basse.

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Cette fondation sommaire se prolonge vers le nord entre les poteaux 1138 et 1159.

Les poteaux inclus dans cette fondation sont parfois très rapprochés l’un de l’autre. Il s’agit très certainement de doubles poteaux dont, là encore, la signification et l’utilisation nous échappent (1137-1151). Il en est de même pour les deux poteaux de la fosse voisine 1143.

Tous ces poteaux mis en relation les uns avec les autres ne nous ont pas permis de proposer un plan pour cette construction qui demeure énigmatique.

Comme pour la construction A, il est vraisemblable que certains trous de poteaux correspondent aux poteaux d’un enclos, d’une clôture proche de cet édifice (poteaux 1132, 1131, 1155, 1156, 1158,…).

Enfin, il convient de noter la présence à proximité du poteau 1153 d’une trace charbonneuse noirâtre, très arasée, pouvant être interprétée comme les vestiges d’un foyer sans que nous puissions l’affirmer avec certitude et préciser si celui-ci était situé à l’intérieur de cette construction.

Sommes-nous en présence de l’habitation primitive ? (proximité du puits, construction sur solin, vestiges d’un foyer).

Le bâtiment D : la maison d’habitation

À la différence des précédentes, cette construction a été immédiatement repérée lors du décapage. Les calages des poteaux du mur nord sont apparus en premier, puis le solin de pierres constituant le mur sud. Ces deux murs, distants de 6m, étaient nettement parallèles et bien matérialisés à l’issue du décapage.

Cet ordonnancement nous a immédiatement fait penser à une construction d’importance, techniquement soignée, pouvant être une maison d’habitation. De plus, celle-ci était située à proximité immédiate de l’unique point d’eau, à 10m, à l’est du puits 1145.

Comme les bâtiments B et C, cette construction se situe dans la zone où le substrat crayeux disparaît pour céder la place au limon.C’est ainsi que les trous des poteaux du mur nord sont directement creusés dans le banc de craie alors que ceux du mur sud sont creusés et aménagés dans le solin de pierres constituant l’assise ( » fondation  » sommaire) du mur sud.

Description générale

GLP-batiment-D-maison-habitationL’orientation de cette grande construction est nettement est-ouest. Sa longueur totale est de 8,50m pour une largeur de 6m. Elle est partagée en deux nefs délimitées par l’alignement des trois poteaux faîtiers (L, M, N). Ces poteaux, d’un diamètre de 0,30 à 0,35m, atteignent une profondeur de 0,50 à 0,60m.

Rigoureusement alignés, ils étaient destinés à supporter la panne faîtière et l’essentiel des charges, ce qui explique la relative importance des sections de bois utilisées.
Les calages de pierres de ces trois poteaux avaient été particulièrement bien soignés (mélange de grosses et moyennes pierres compactées associées à un cailloutis).

Outre les trois poteaux faîtiers, l’infrastructure de cette construction est constituée de treize poteaux porteurs intégrés dans les murs nord et sud. Les poteaux P et Q, réservés à une autre fonction, n’ont pas été comptabilisés comme supportant l’ossature.

Ces poteaux (B à E, H, L à O, R à U) sont quasiment tous de section ronde à l’exception de quatre d’entre eux vraisemblablement équarris (D, P, S, T). Les angles nord-ouest et sud-est sont constitués de doubles poteaux corniers (B, C et T, U) associant une grosse section et une plus petite (0,30 et 0,20m – 0,20 à 0,15m). Le diamètre des autres poteaux corniers varie de 0,20 à 0,25m et de 0,15 à 0,20m pour ceux situés latéralement, à base équarrie supportant les sablières hautes et les entraits. Les poteaux du mur nord étaient positionnés dans des avant-trous d’un diamètre plus important et calés par des grosses pierres ou des silex. Entre ces appuis, d’autres pierres et silex avaient été disposés afin de constituer une assise destinée à recevoir vraisemblablement une sablière basse. Ce même calage de pierres a été retrouvé à la base du pignon oriental entre les poteaux H et L.

Les poteaux du mur sud intégrés au solin proprement dit, comportaient un calage très soigné constitué là encore de blocs en pierre de différentes tailles.

Ce solin est fait d’un mélange de blocs de pierres de tailles diverses et d’un cailloutis assez compact. Il avait une largeur moyenne de 0,30m et était parfaitement visible sur une longueur d’environ 8m.

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Il se distingue des calages de poteaux et des blocages de pierres du mur nord par sa régularité et le soin apporté à sa confection. Il s’agit en fait d’une tranchée peu profonde creusée dans le limon et ensuite remblayée par un blocage de pierres constituant ainsi une sorte de fondation destinée à supporter et isoler de l’humidité une sablière basse.

L’hypothèse d’une sablière basse entre chaque poteau porteur peut s’expliquer aussi par l’absence totale de trous de poteaux de petite section correspondant à des pieux verticaux reliant la sablière haute et la basse, destinés à supporter un clayonnage. Dans notre cas, c’est sur cette sablière basse que ces poteaux intermédiaires devaient être assemblés.

L’espacement de l’ordre de 1,50 à 2m entre les poteaux latéraux ne présente aucune régularité. En revanche, on observe une symétrie parfaite entre les poteaux porteurs nord et sud destinés à supporter les entraits et les poteaux faîtiers (B-C, N et O-E, M et R – H, L et T, U). Ces trois poteaux faîtiers sont positionnés légèrement en retrait de l’axe des poteaux latéraux permettant ainsi un assemblage à mi-bois.

Deux trous de poteaux extérieurs à la construction proprement dite (A et X), situés dans l’alignement des rangées de poteaux latéraux nord et faîtiers, correspondent peut-être à des étais ou des jambes de force destinés à renforcer l’ensemble de la construction.

La présence de ces poteaux de renfort peut s’expliquer par une hauteur importante de l’édifice, de l’ordre de 6m au faîtage.

Une entrée côté nord

L’absence d’interruption dans la construction du solin du mur sud exclut l’hypothèse d’une porte d’entrée méridionale.

Par contre, la présence d’une porte d’entrée dans l’angle nord-est de cette construction est attestée par :

  • l’interruption brutale du calage de pierres du mur nord sur une longueur d’un mètre au niveau du poteau cornier H ;
  • la situation des deux poteaux F et G extérieurs à la construction proprement dite et correspondant aux poteaux d’un auvent large de 1,50m.

A l’exception de cet auvent dans l’angle nord-est, aucun autre élément n’atteste l’existence d’une autre porte d’entrée.

Un âtre dans l’angle sud-ouest

La preuve incontestable qu’il s’agissait bien d’une maison d’habitation nous a été fournie par la découverte, dans l’angle sud-ouest, des vestiges d’un foyer, d’un âtre adossé au mur sud, précisément entre les deux poteaux P et Q.

Les vestiges du foyer consistaient en un amas de charbon de bois en demi-cercle nettement visible sur une largeur d’environ 0,80m et sur une épaisseur de 0,10 à 0,15m. Le fond de cet âtre était installé dans une cuvette ovale fortement rubéfiée.

La présence d’un âtre à cet endroit implique nécessairement l’aménagement d’un conduit d’évacuation de type cheminée pour prévenir tout risque d’incendie.

Les deux poteaux P et Q sont vraisemblablement les deux poteaux porteurs de ce conduit d’évacuation.

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Les restes du foyer se situent en effet très précisément entre ces deux poteaux, à un niveau où le solin de pierres du mur sud s’incurve nettement vers l’extérieur pour permettre à la sablière haute de relier tous les poteaux latéraux du mur sud aux deux poteaux corniers O et U, en prenant appui sur les poteaux P et Q. Ces deux derniers, espacés d’un mètre, permettent ainsi l’aménagement d’un conduit d’évacuation dont ils constituent l’ossature de base.

Observations diverses

Il est difficile de donner une interprétation précise aux poteaux I et V (cloison interne ? Aménagement particulier ?).

Un fossé de drainage, peu profond et assez large au départ, a été aménagé au nord de cette habitation selon un axe N-NW / S-SE, très certainement pour canaliser les eaux de ruissellement.

Au niveau de l’auvent protégeant l’entrée de la maison, ce fossé se rétrécit nettement (0,80m) pour se perdre ensuite au nord-est de l’habitation.

Face à cette entrée, immédiatement de l’autre côté de ce fossé, se trouvait un foyer (1199) en relation probable avec cette construction (fosse à cuisson).

A l’ouest de cette maison, à proximité du pignon, une fosse peu profonde d’environ 0,40m a été localisée et fouillée (1130).

Cette fosse rectangulaire de 3,50 X 2,80m est très certainement antérieure ou immédiatement contemporaine à cette maison d’habitation. Il pourrait s’agir d’une fosse à torchis transformée ensuite en fosse à détritus et comblée enfin, voire de latrines.

Le comblement homogène et l’absence presque totale de matériel laisse supposer un comblement rapide.

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Le bâtiment D est incontestablement la construction la plus élaborée de l’ensemble des structures à ossature de poteaux de bois du site de Goudelancourt.

Les dimensions importantes (surface habitable de près de 50m²), les techniques de construction employées (sablière basse discontinue sur solin de pierres), l’aménagement d’une entrée avec auvent, la netteté de son plan à ossature de poteaux (bâtiment à deux nefs), la présence d’un âtre avec cheminée, en font de toute évidence une parfaite maison d’habitation, les autres bâtiments voisins devant être considérés comme des annexes (étable, grange, atelier…).

Il s’agit d’un bâtiment à une seule nef orientée est-ouest de 6,50m de long sur 4m de large. Les trous de poteaux ont été creusés pour moitié (mur nord) dans le banc de craie et pour moitié (mur sud) dans le limon avec, comme seul indice, les calages de pierres.

L’ossature des murs est composée de 4 poteaux porteurs sur lesquels reposaient les sablières hautes et les entraits des 2 fermes. Les poteaux corniers ont été doublés aux angles N-W et N-E et, pour certains (1205 et 1216), il s’agissait de poteaux équarris. Les sections de bois utilisées dans ces deux cas sont importantes, malgré la simplicité et les dimensions modestes de cette structure, ce qui peut laisser supposer une construction en hauteur (bâtiment doublé d’un grenier ?). Les poteaux composant l’ossature sont les suivants : 1205, 1204, 1213, 1215, 1187 et 1216 pour le mur nord, 1185, 1184, 1223 pour le mur sud.

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Le bâtiment E

GLP-batiment-E1Cette construction se situe à peu de distance du bâtiment D, à une dizaine de mètres au nord-est.

Au nord de cette construction, parallèlement au mur, un espace de circulation large de 2,50m a été aménagé. Le banc de craie a été taillé et aplani pour le mettre au niveau du bâtiment construit perpendiculairement à la pente du terrain.

Cet aménagement se prolonge au nord-ouest par une sorte de rigole de drainage des eaux. Au niveau du pignon ouest, une douzaine de trous de poteaux sans alignement précis correspondent vraisemblablement, pour certains, au reste d’une clôture et, pour d’autres, à une construction de petite taille dont le plan demeure énigmatique.

Au sud-est le décapage a mis en évidence un alignement de pierres nettement visible sur une longueur d’environ 8m. Cet alignement correspondait aux calages de 4 poteaux dont le cornier de l’angle sud-est du bâtiment E. Il s’agit des poteaux 1122 à 1125 entre lesquels un calage de pierres très sommaire a été aménagé. Ce calage est comparable à celui du mur nord du bâtiment D (maison). Il correspondrait certainement à une autre construction dont le plan demeure énigmatique, voire à une extension vers le sud du bâtiment E, impossible à préciser.

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Les fonds de cabanes

Si l’on ajoute les deux fonds de cabanes isolés, situés à l’ouest de la zone principale d’investigation, les fouilles de Goudelancourt ont amené la mise au jour de 16 structures de ce type.

De plan quadrangulaire ou ovale, ils sont toujours excavés et nettement repérables lors du décapage. Ils présentent une certaine variété tant dans leur forme que dans le nombre de poteaux de bois utilisés pour leur construction, ce qui permet d’en dresser une typologie. Elle reprend celle mise au point par J. Schweitzer pour l’habitat rural en Alsace (SCHWEITZER, 1984).

Le type à deux poteaux médians

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Au nombre de 7, ce type est de loin le plus représenté sur le site de Goudelancourt.

Il s’agit des cabanes 1010, 1015, 1016, 1018, 1031, 1036 et 1085. Ce type à deux poteaux médians ou faîtiers correspond à la terminologie allemande de Grübenhütte et il est présent sur de nombreux autres sites de cette période.

La forme générale de la partie excavée de ces cabanes est ovale, plus ou moins allongée, avec une orientation dominante est-ouest, à l’exception de la cabane 1031 orientée nord-sud.

Les dimensions de ces cabanes sont les suivantes :

  • Cabane 1010 : 3,50 X 2,60m, profondeur 0,30m, superficie 9m²
  • Cabane 1015 : 3,25 X 2,30m, profondeur 0,60m, superficie 7,50m²
  • Cabane 1016 : 2,30 X 1,90m, profondeur 0,35m, superficie 5,70m²
  • Cabane 1018 : 2,30 X 1,60m, profondeur 0,30m, superficie 3,70m²
  • Cabane 1031 : 3,90 X 1,80m, profondeur 0,20m, superficie 7m²
  • Cabane 1036 : 3,70 X 2,80m, profondeur 0,40m, superficie 10,30m²
  • Cabane 1085 : 3,05 X 1,80m, profondeur 0,50m, superficie 5,50m²

Dans tous les cas la superficie correspondant à l’excavation n’excède pas 10m² pour les plus grandes et 4m² pour les plus petites. Toutes ces cabanes ont été creusées avec soin dans le substrat crayeux.

Dans tous les cas le niveau du fond de l’excavation a été rétabli par rapport à la pente naturelle du terrain et se trouve toujours parfaitement horizontal. De ce fait, la paroi nord est toujours nettement plus élevée que celle du côté sud.

Le fond, généralement bien aplani, correspond au niveau d’occupation et de piétinement, ce qui exclut toute hypothèse de plancher.

A l’exception des trous correspondant aux 2 poteaux porteurs, aucun autre trou de poteau ou simple piquet n’a été découvert sur le sol de ces excavations.

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Le remblai de ces excavations a livré très peu de matériel, ce qui rend particulièrement délicate toute hypothèse relative à l’utilisation de ce type de cabane.

Ce type de construction sommaire ne nécessite pas l’utilisation de bois de fort calibre, l’empreinte laissée par la décomposition d’un des deux poteaux de bois de la cabane 1010 est d’un diamètre de 0,13m pour un trou de poteau de 0,30m de diamètre.

Il s’agit de cabanes à ossature de deux poteaux médians supportant une panne faîtière avec un toit à deux pans très inclinés, descendant jusqu’au sol, et dont les chevrons devaient reposer sur une sablière basse.

Le paléosol ayant été détruit, toute trace d’une de ces sablières basse a bien évidemment disparu, au même titre que les rigoles de drainage indispensables pour éviter qu’en cas de fortes pluies les eaux de ruissellement n’envahissent l’excavation.

Le type à quatre poteaux corniers

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Le site de Goudelancourt n’a livré que 2 exemplaires de ce type de cabane.

goudelancourt-cabane-4-poteaux-restitutionIl s’agit des cabanes 1000 et 1005. Cependant, si elles présentent toutes les deux une ossature à base de 4 poteaux, il convient pourtant de les distinguer : dans la cabane 1000, l’implantation de ces poteaux angulaires se fait à l’intérieur de l’excavation proprement dite alors que dans la cabane 1005 elle se fait à l’extérieur de l’excavation.

La forme générale de la partie excavée de ces cabanes est, cette fois, nettement quadrangulaire ; elles sont toujours d’orientation est-

ouest.

Les dimensions sont les suivantes :

  • cabane 1000 : 3,50 X 2,50m, profondeur 0,75m côté nord et 0,35m côté sud, le niveau du sol ayant été rétabli par rapport à la pente naturelle du terrain, superficie 8,70m² ;
  • cabane 1005 : 2,80 X 2,40m, profondeur 0,25m, superficie 6,70m².

Dans ces deux cas la superficie de l’excavation n’atteint pas 10m² . Les trous de poteaux angulaires ont un diamètre compris entre 0,35 et 0,20m, ce qui implique l’utilisation de poteaux de bois d’un diamètre moyen (0,15m). Le fond de ces deux excavations, à la différence des cabanes à deux poteaux, est plus irrégulier. La cabane 1000 présente d’ailleurs une zone surcreusée d’environ 0,10m occupant tout le quart nord-est de l’excavation.

Ces deux cabanes, l’une comme l’autre, ont fait l’objet d’un aménagement particulier :

  • la cabane 1000 comporte un four angulaire (angle N-W) ;
  • la cabane 1005 possède une cavité semi-circulaire dans la paroi latérale nord de l’excavation dont la signification nous échappe.

Du point de vue architectural, ce type de cabane est déjà plus élaboré en matière de construction et nécessite un plus grand nombre de pièces de bois que le type rudimentaire à 2 poteaux.

Les poteaux corniers font office d’ossature pour les murs et, comme poteaux porteurs, reçoivent les sablières hautes des murs latéraux ainsi que les entraits des 2 fermes formant les pignons. La panne faîtière repose, dans ce cas, sur 2 poinçons maintenus par 2 arbalétriers.

Ici, il n’est pas nécessaire que la toiture descende jusqu’au sol. La superficie de ces cabanes se limitait ainsi précisément aux dimensions de l’excavation proprement dite.

Pourtant, le principe de ces toitures reposant sur le sol offre un avantage évident : celui d’augmenter assez sensiblement la superficie intérieure en proposant à la place des murs latéraux de larges banquettes. Mais, là encore, le sous-sol en partie détruit n’a livré aucun indice permettant d’étayer cette hypothèse.

Le type à six poteaux

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Trois exemplaires de ce type ont été découverts et fouillés. Un seul d’entre eux a été rencontré dans le secteur 1 (cabane 1121 et 1122 du secteur 2).

goudelancourt-cabane-6-poteaux-restitutionComme pour les cabanes à 4 poteaux, on remarque ici que l’implantation des poteaux peut se faire à l’intérieur aussi bien qu’à l’extérieur.

Dans le cas de la cabane 1022, les poteaux corniers et médians ont tous été creusés à l’intérieur de l’excavation proprement dite, au pied des parois, alors que pour les cabanes 1121 et 1122 les trous de poteaux ont été creusés soit nettement à l’extérieur de l’excavation, soit dans les parois. La disposition de ces trous de poteaux est à rapprocher de ceux de la cabane 1005 à 4 poteaux.

Ces cabanes à 6 poteaux sont indiscutablement les plus vastes :

  • cabane 1022 : 4,40 X 3,20m, profondeur 0,50m, superficie 14m²
  • cabane 1121 : 3,90 X 3,20m, profondeur 0,35m côté nord, 0,15m côté sud, superficie 12,50m²
  • cabane 1122 : 3,20 X 2,20m, profondeur 0,20m, superficie 7m²

Toutes présentent une orientation est-ouest. Là encore, le fond des excavations a été remis à niveau en fonction de la déclivité naturelle du terrain. Pour ces trois cas, le fond de l’excavation était assez régulier, creusé avec soin dans le substrat crayeux.

Architecturalement, ce type à six poteaux représente une fusion des 2 types précédents soit 4 poteaux corniers associés à 2 poteaux médians. L’assemblage déjà élaboré de la ferme n’est pas ici nécessaire puisque les poteaux médians sont prévus pour supporter la panne faîtière (poteaux faîtiers). Les poteaux corniers servaient d’appui aux murs et supportaient la sablière haute et les entraits.

Dans les cabanes 1122 et 1121, les poteaux faîtiers étant placés plus en avant que l’axe des poteaux corniers, ce qui permettait un type d’assemblage à mi-bois pour les entraits et une meilleure répartition des charges.

Les types sans poteau

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Trois structures semblent correspondre à cette catégorie : deux de type quadrangulaire (cabanes 1020 et 1025), une de type ovale allongée (cabane 1012). Bien que la cabane 1012 sans poteau soit à considérer avec prudence, car recoupée par une force, ses dimensions et sa forme nous incitent cependant à la ranger dans cette catégorie.

Les deux autres cabanes sont, par leur taille et leur forme, tout à fait comparables aux autres types déjà mentionnés : excavation assez vaste, plan quadrangulaire.

Leurs dimensions sont les suivantes :

  • cabane 1020 : 3,80 X 2,50m, profondeur 0,50m côté nord, 0,30m côté sud, superficie 9,50m²
  • cabane 1025 : 3,15 X 2,25m, profondeur 0,30m, superficie 7,10m²
  • cabane 1012 : 4 X 2m, profondeur 0,30m, superficie 8m²

Encore une fois ces trois cabanes présentent une orientation est-ouest, un fond plat, régulier, remis à niveau en fonction de la pente du terrain.

D’un point de vue architectural, ce type de cabane est marqué par l’absence de poteaux porteurs. Ceux-ci étaient très certainement remplacés par deux fermes dont les entraits, reposant directement sur le sol, étaient reliés par 3 pannes (sablière basse, panne intermédiaire, panne faîtière). L’aspect général était celui d’une cabane à 2 poteaux, à toiture à double pente descendant jusqu’au sol.

Les types particuliers

La cabane 1000 à four angulaire

goudelancourt-cabane-1000-4-poteaux-et-fourC’est le seul exemple sur le site. Le four occupe l’angle N-W de cette cabane à 4 poteaux corniers d’une superficie de 8,75m², orientée est-ouest.

Cette cabane avec four est relativement isolée du reste de la zone d’habitat. Elle se situe dans le secteur nord-ouest à 25 / 30m des autres cabanes et ceci probablement dans un souci de prévenir tout risque d’incendie.

Le four proprement dit, de forme circulaire (diam.1m), a été creusé dans le substrat crayeux. Sa profondeur est de 0,25m. La sole a été directement aménagée sur la craie. Les combustions successives ont transformé celle-ci en une sorte de résidu plâtreux sur une épaisseur de 0,05m par endroits.

Au niveau de l’entrée du four et dans l’angle sud-ouest, une importante quantité de charbon de bois correspondant au  » cendrier  » a été rencontrée dans le remblai et au fond de l’excavation.

De toute évidence, il s’agit d’un four à usage domestique (four à pain).

La voûte de terre formant le dôme du four devait émerger d’au moins une soixantaine de centimètres par rapport au niveau du sol. Situé en plein ouest, ce four nécessitait d’être protégé des intempéries. Là encore, il ne subsistait aucune trace d’un éventuel abri.

La construction 1051-1053

Cette structure associant fond de cabane excavé (profondeur 0,40m) et construction de plain-pied reste un cas isolé. Orientée N-NE / S-SW dans le sens de la pente naturelle du terrain, elle se compose d’une excavation (1051) de 3,10 X 1,90m à 2 poteaux corniers (angles NW et NE) en relation avec une série de trous de poteaux, extérieurs à l’excavation, et formant la structure 1053 (5 X 3m).

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Cet ensemble forme une construction de surface longue et étroite, légèrement trapézoïdale (8,50m de long pour 3m de large). La porte d’entrée pouvait se situer dans l’angle SW entre les poteaux F et E, espacés d’un mètre.

Cette hypothèse repose essentiellement sur l’absence de poteaux corniers aux angles SW et SE de l’excavation 1051 (poteaux remplacés par 2 piquets intermédiaires), alors qu’il en existe aux angles NW et NE.

Au stade actuel de la recherche, ils nous est totalement impossible de proposer une quelconque interprétation pour cette construction au plan incertain.

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Observations générales

Aucune trace de foyer n’a été rencontrée dans ces structures. De même, aucune de ces cabanes n’a, semble-t-il, été détruite par un incendie. Aucun niveau d’incendie n’a été repéré à la fouille et notamment, dans la plus menacée d’entre elles, la cabane à four angulaire (1000). En revanche, quelques vestiges de foyers ont été repérés à l’extérieur, à proximité immédiates de certaines d’entre elles.

En outre, aucun indice ne permet d’avancer l’idée de planchers, de vides sanitaires. Par contre, la zone humifère rencontrée bien souvent en fond de fosse sur le substrat crayeux correspond au niveau d’occupation, à la zone de piétinement.

Pas de trace non plus d’entrées aménagées, de portes. Du fait de la remise à niveau systématique du fond de ces excavations, il n’est pas impossible que pour les plus grandes d’entre elles, une entrée ait été aménagée côté sud, ce qui évitait d’avoir à confectionner une marche. Logiquement, aucune entrée ne devait se trouver à l’ouest (vents dominants, pluie) et encore moins au nord. Pour les petites cabanes à 2 poteaux, dont nous ignorons si elles étaient fermées côté ouest, l’entrée devait être située à l’est.

Vu la pente du terrain, toutes ces cabanes devaient être protégées du côté nord par des rigoles d’évacuation des eaux de ruissellement. En cas de très fortes pluies, certaines d’entre elles devaient être parfois envahies par l’eau, faute de véritables fossés de drainage.

Dans un tout autre domaine, une interrogation s’impose : quelle utilisation pouvait être faite des importantes quantités de craie extraites du sol lors du creusement de ces excavations ? Il semble assez plausible d’imaginer qu’une partie de cette craie ait pû être utilisée pour la confection de solins (fondations sommaires) des grandes constructions, voire de certains murets supportant des sablières basses. Peut-être s’en servait-on aussi pour empierrer des voies d’accès ou les abords des constructions.

De même, il n’est pas impossible, non plus, que ce calcaire fortement chauffé ait pu être transformé en chaux, en plâtre dans des grands fours. Ce plâtre est présent dans la nécropole voisine comme enduit des stèles de la sépulture 328, ou des parois de la tombe 1. Les fosses 1011, 1028, 1029, 1033, fortement rubéfiées, ne pourraient-elles pas être dans ce cas les vestiges de fours à chaux ? (voir §  » Les fosses de grande taille « ).

Aucune stratigraphie précise n’a été rencontrée dans le comblement des excavations. Tout semble indiquer que celui-ci s’est fait relativement vite après abandon puis destruction de la construction.

Dans deux cabanes excavées (1051, 1010) le diamètre des sections de bois utilisées a pu être relevé, ce qui indique un lent pourrissement des poteaux dans leurs trous et une destruction progressive de ces cabanes après abandon.

Par contre, les quatre trous de poteaux s’organisant par paires de la cabane 1036 indiquent que celle-ci a fait l’objet de deux occupations successives.
Dans les cabanes 1000 et 1031 certains indices laissent supposer que les principales pièces de bois avaient été récupérées et probablement remployées pour d’autres constructions (le trou de poteau de l’angle SW de la cabane 1000 contenait un crâne de bœuf en parfait état ; le poteau sud de la cabane 1031 renfermait de gros blocs en pierre volontairement jetés à l’intérieur).

Les fonctions du fond de cabane

Au stade actuel de l’analyse des données de fouilles, à l’exception de la cabane 1000, rien ne nous permet d’attribuer une fonction précise aux divers fonds de cabanes découverts sur le site de Goudelancourt.

Aucun d’entre eux n’a été détruit par un incendie, ce qui aurait peut-être permis de découvrir quelques indices. Tous ont été, semble-t-il, totalement vidés et l’examen du fond de ces excavations ne fournit aucun renseignement.

Leur comblement est essentiellement détritique, contemporain de l’abandon ou postérieur, et il serait hasardeux de formuler des hypothèses à partir du seul mobilier découvert dans le remblai de ces fosses.

Seule la cabane 1000 semble remplir une fonction précise : équipée d’un four angulaire de type domestique, elle pouvait faire office de  » boulangerie  » ou remplir diverses activités culinaires. En ce qui concerne les autres cabanes, ils faut demeurer prudent quant à leur utilisation initiale, notamment pour celles communément interprétées comme ateliers de tissage.

La présence d’un peson ou d’une fusaïole ne doit pas conduire systématiquement à affirmer que la cabane était celle d’un tisserand. A l’inverse, l’absence de trous destinés à recevoir les montants d’un métier à tisser ne peut en exclure l’existence.

Un métier à tisser vertical ne nécessite pas obligatoirement que les montants soient enfoncés dans le sol. Ceux-ci peuvent avoir tout simplement été fixés aux chevrons et positionnés de biais ou fixés à la panne faîtière, notamment dans les cabanes à deux poteaux au faîtage peu élevé.

Ces cabanes à 2 poteaux, notamment les plus petites, peuvent aussi très facilement avoir servi de poulaillers ou d’abris pour les animaux de petite taille comme les porcs, les moutons ou les chèvres. Seule une analyse poussée et particulièrement une recherche des phosphates permettrait de corroborer cette hypothèse.

Ateliers de tissage ? Abris pour animaux ?

Faute d’indices précis, plusieurs hypothèses sont permises. La plus souvent retenue est celle d’ateliers, d’annexes économiques.

Si atelier de tissage il y a, les fonds de cabanes de Goudelancourt ont aussi pu servir à d’autres fonctions domestiques notamment une activité de type métallurgique en liaison avec l’existence probable d’un bas fourneau sur le site. Pour preuve, certains déchets métallurgiques retrouvés dans quelques fonds de cabanes.

Là s’arrêtent les rares indices relatifs à l’utilisation des cabanes de Goudelancourt :

  • fonction domestique : présence d’un four à pain, ateliers de tissage ( ?), travail du fer
  • fonction agricole : abris pour animaux, remises, lieux de stockage

Faut-il exclure totalement une fonction d’habitat pour ces cabanes ? Ne pas l’envisager serait une erreur.

Une unité agricole et domestique comme celle de Goudelancourt devait abriter, outre les  » exploitants  » -une famille d’hommes libres ?- plusieurs autres personnes formant la domesticité (population de statut inférieur, esclaves ?). Le problème du logement de ces individus se pose donc.

Bien que nous n’ayons là encore que peu ou pas d’indices, certaines cabanes, notamment les plus grandes à 4 ou 6 poteaux, peuvent très bien avoir servi d’habitat, de dortoir (temporaire ou permanent ?) pour un ou deux domestiques, voire une famille.

Si l’on admet communément que la présence d’un foyer à l’intérieur d’une structure de ce type constitue une preuve de cette fonction d’habitat, de nombreux foyers ont été retrouvés à proximité de ces cabanes et rien n’empêche de supposer que certaines constructions pouvaient avoir une double fonction, d’atelier et d’habitat, grâce à l’utilisation de  » braseros  » l’hiver. Là encore, il s’agit d’une hypothèse impossible à confirmer.

Pourquoi une excavation ?

Comme nous l’avons mentionné précédemment, de toute évidence, à Goudelancourt, il faut exclure l’hypothèse de planchers, de caves ou de vides sanitaires, le niveau d’utilisation étant celui du fond de l’excavation. Cette hypothèse est de loin la plus logique pour plusieurs raisons :

  • elle permet une économie non négligeable de matériaux en réduisant sensiblement les longueurs des bois à utiliser que ce soit pour les poteaux porteurs ou les perches faisant office de chevrons. Cette économie serait de l’ordre d’un mètre. Tout ceci dans l’hypothèse d’une même hauteur libre sous faîtière.
  • dans le cas des cabanes à 2 poteaux, cette solution qui implique une toiture descendant jusqu’au sol permet de n’avoir pas à monter d’autres parois que celle du ou des pignons d’où une économie de matériaux.
  • l’abaissement de la hauteur du faîtage offre un autre avantage non négligeable en réduisant sensiblement la prise au vent.
  • dans l’hypothèse où certaines de ces cabanes servaient d’abris pour le petit bétail, l’excavation facilitait le nettoiement des litières.
  • de même, dans l’hypothèse où les plus grandes de ces cabanes servaient à la fois d’ateliers et d’habitats de type dortoir pour la domesticité, le creusement d’une excavation procurait une excellente isolation thermique encore accrue par l’emploi de couvertures végétales (chaume, roseau) et d’un matériau comme le torchis pour les murs.

L’archéologie expérimentale (reconstitution grandeur nature de ces cabanes à Les Rues-des-Vignes, dans le Nord, et à Marle, dans l’Aisne -voir l’article dans ce présent volume-) semble largement accréditer par cette dernière hypothèse. En effet, bien que des relevés précis des températures ambiantes, été comme hiver, n’aient pas été faits, le simple visiteur est d’emblée frappé par la fraîcheur qui règne dans ces cabanes l’été et par la relative douceur ressentie l’hiver, écarts de température comparables à ceux rencontrés dans une cave.

Toutes ces raisons semblent à nos yeux les plus plausibles actuellement. Ces cabanes excavées, si l’on considère que les plus grandes avaient une fonction mixte atelier-habitat, sont loin de constituer selon nous des abris sordides, des taudis insalubres. Ce type de construction est attesté de longue date en Europe de l’Est comme en France et, notamment, dans notre région jusqu’au début de ce siècle (cabanes de charbonniers de la forêt d’Hirson au nord du département de l’Aisne).

Foyers et fosses à cuisson

Treize foyers ou fosses à cuisson ont été découverts sur le site et correspondent aux structures suivantes : 1026, 1030, 1032, 1245, 1048, 1070, 1072, 1079, 1101, 1149, 1183, 1192 et 1200.

Creusés dans la craie, ils sont tous de tailles différentes, de forme plus ou moins circulaire ou ovale. Les plus grands ont une longueur de 1,50m et une largeur de 1m, les plus petits 0,70m de long sur 0,40m de large.

Ils se caractérisent tous par un remblai très sombre constitué d’un mélange de terre cendreuse et de nombreux charbons de bois.

A l’exception des structures 1045, 1030 et 1048, situées à proximité immédiate de cabanes à fond excavé (1036 et 1031), tous ces foyers sont assez éloignés des cabanes et autres constructions de grande taille, ceci de toute évidence afin de prévenir tout risque d’incendie. On les retrouve disséminés dans toute la zone fouillée avec une relative concentration à l’est et au sud-est.

Il s’agit très certainement de fosses à cuisson d’un usage domestique courant.

Fosses et structures diverses

À Goudelancourt comme sur d’autres sites comparables, les fouilles ont révélé la présence, à côté de structures assez bien définies, de plusieurs fosses dont la fonction est incertaine.

Les fosses à torchis

Deux grandes fosses ont pu remplir cette fonction : la fosse 1123, au sud de la construction B, et la fosse 1230 à l’ouest de la maison d’habitation (bâtiment D). Cette interprétation repose essentiellement sur deux points : la proximité immédiate de grandes constructions ayant nécessité une importante quantité de torchis à confectionner ; la présence sur place d’un limon se prêtant particulièrement bien à la confection de ce type de matériau.

Fosses à usages indéterminés

Pour l’ensemble du site, les fonctions d’une bonne quinzaine de fosses restent totalement indéterminées. Absolument aucun indice particulier ne nous permet d’avancer une quelconque hypothèse les concernant. Ces fosses, creusées dans le substrat crayeux, sont de forme et de taille variables.

Les fosses de taille moyenne

Certaines ont été creusées avec soin dans la craie et présentent une forme bien ovale, des parois arrondies et un fond plat. Leur longueur varie de 2,20m à moins de 1m pour une largeur de 1,40 à 0,50m (fosses 1086, 1077, 1055, 1038, 1037, 1027).

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D’autres présentent un contour nettement moins régulier et, là encore, leur fonction demeure totalement indéterminée (fosses 1013, 1024, 1035, 1054, 1056).

Parmi toutes ces fosses, deux paraissent associées à des trous de poteaux extérieurs à l’excavation elle-même et pourraient correspondre aux poteaux supportant un toit. Il s’agit de la fosse 1052 associée à 2 trous de poteaux situés de part et d’autre de la fosse, et la fosse 1077.

Malgré la présence des poteaux, leur usage reste imprécis et il serai hasardeux, en l’absence de tout autre indice, d’avancer une quelconque hypothèse.

Les fosses de grande taille

Au nombre de quatre, elles sont toutes regroupées à l’est des cabanes 1036 et 1025.

Il s’agit des fosses 1011, 1028, 1029, 1033. A l’exception de la fosse 1011, orientée nord-sud, les trois autres sont disposées est-ouest. Elles se distinguent toutes des précédentes par leur taille et leur aménagement interne. Toutes sont creusées dans le substrat crayeux. Leur longueur varie de 4,35 à 2,30m, leur largeur de 2 à 1,10m pour une profondeur de 0,40 à 0,15m. Outre les nombreuses pierres rubéfiées découvertes dans les remblais ou au fond de ces fosses, trois d’entre elles avaient leurs parois et le fond de fosse transformés sous l’action d’un feu intense en une sorte de plâtre, de chaux (fosses 1028, 1029, 1033, moins nettement pour la fosse 1011).

Ces mêmes fosses présentaient toutes, dans leur partie orientale (sud pour la fosse 1011), une sorte d’avancée en pente douce distincte de la zone fortement rubéfiée au centre (bouche ou gueule d’un four ?).

Incontestablement ces fosses étaient utilisées pour faire des feux importants dégageant des fortes chaleurs. Elles sont peut-être à mettre en relation avec la présence toute proche de la fosse 1004 (bas fourneau ?).

La fosse 1004 : vestige d’un bas fourneau ?

Cette fosse fortement arasée, d’assez petite taille (1,30 X 1m), avait des parois rubéfiées à un point tel que le substrat crayeux était totalement transformé sous l’action de la chaleur en une sorte de résidu plâtreux, de chaux.

Au milieu de cette fosse, plusieurs résidus métalliques (scories de fer) ont été retrouvés, dont certains fragments assez gros, témoignant incontestablement d’une activité métallurgique.

Si l’on se réfère aux descriptions de certains de ces bas fourneaux, cette petite fosse 1004 pourrait correspondre au creuset de l’un d’entre eux.

Une analyse précise des résidus métallurgiques découverts permettra peut-être de confirmer ou d’infirmer cette hypothèse.

Cette fosse est probablement à mettre en relation avec deux trous de poteaux voisins, situés de part et d’autre de cette structure et distants de 3m l’un de l’autre (T.P. 1009 et 1003).

La fosse 1073 : un four domestique ?

Cette fosse, là encore creusée dans le substrat crayeux, comportait au centre une zone fortement rubéfiée. Sa forme générale pourrait correspondre à celle d’un four. La fosse est longue de 1,70m et large de 1,50m. Elle est orientée nord-sud. Les deux tiers supérieures de la fosse présentent un plan quasi circulaire augmenté d’une avancée en pente douce, étroite, comparable à celles rencontrées dans des fosses beaucoup plus grandes (1028, 1033). La profondeur au centre de la fosse est de 0,30m.

fosse-1073-four

Cette fosse, probablement recouverte d’une voûte de terre dont il ne subsiste rien, pourrait correspondre au schéma classique d’un four domestique (four à pain) : sole quasi circulaire recouverte d’un dôme, prolongée par une bouche (gueule) nécessaire pour l’enfournement. Cette hypothèse implique que les utilisateurs d’un tel four devaient travailler accroupis lors du chargement.

Éléments de clôture et grenier

Si sur d’autres sites de même nature il est fait état de la présence de palissades ou de clôtures à base de poteaux de bois, à Goudelancourt la prudence s’impose. Seuls quelques rares alignements de trous de poteaux, dont tous les poteaux intermédiaires de petites sections auraient disparu, ont été rencontrés et pourraient être interprétés comme les éléments d’une clôture.

Ceux-ci se rencontrent essentiellement à proximité des grandes constructions de surface : au nord de la construction A (alignement de 4 trous de poteaux sur une quinzaine de mètres de long) ; au nord de la construction C (alignement de 5 poteaux sur plus de 20m) ; de même, au sud du bâtiment E et à l’est de la maison d’habitation.

L’écartement de ces poteaux est par endroits trop important (6m) pour permettre de concevoir une clôture solide à moins qu’effectivement les poteaux intermédiaires, à peine enfoncés dans le sol, n’aient pas a laissé de traces visibles à la fouille.

A Goudelancourt, aucune structure de type silo n’a été découverte. De même, la présence de greniers reste tout à fait hypothétique. Seule une petite structure à ossature de 4 poteaux de bois, située dans la partie nord de la zone fouillée, pourrait correspondre à ce que l’on a coutume d’interpréter comme un grenier. Les dimensions très modestes (2 X 1m) et le faible diamètre des trous de poteaux (0,20 X 0,15m) nous incitent, une fois encore, à la prudence.

Les fossés

Trois fossés ont été découverts à proximité des grandes constructions de surface (bâtiments et maison d’habitation). Creusés jusqu’au substrat crayeux, ils présentent un profil en berceau, une profondeur de 0,10 à 0,15m et une largeur de 0,60 à 0,80m.

Tous ont été creusés en diagonale par rapport à la pente du terrain, aux abords immédiats des constructions (B, C et D). Leur situation, (au nord des bâtiments), leur orientation attestent de toute évidence qu’il s’agit de fossés de drainage destinés à canaliser les eaux de ruissellement et, ainsi, protéger les grands bâtiments de plain-pied.

Un premier fossé, le plus long, a été suivi sur une longueur de près de 35m. Il se perd à l’ouest sous le chemin rural, longe en diagonal le bâtiment B à environ 6m du mur nord de cette construction, tourne assez brusquement en direction du sud pour passer à peine 1m du double poteau cornier NE de ce bâtiment.

Sa trace disparaît ensuite, détruite par une tranchée d’assainissement effectuée par le propriétaire du terrain. A ce niveau, le fossé repart en diagonale par rapport à la pente naturelle en direction de nord-est et passe entre les constructions A et C pour disparaître ensuite. La zone détruite par la tranchée d’assainissement se situe précisément à la jonction de ces deux éléments du fossé et il ne nous a pas été possible de vérifier où aboutissaient les eaux de ruissellement ainsi canalisées (fosse, puisard ?).

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Le second fossé découvert se situe au nord et à proximité du puits 1145. Son tracé a été identifié sur une longueur de plus de 10m. Ce dernier est parfaitement en diagonale par rapport à la pente du terrain et suit un axe nettement S-SW / N-NE. Notre attention a été attirée par le fait que ce fossé de drainage tout proche du puits canalisait en fait les eaux de ruissellement directement dans la cuvette entourant ce puits.

En cas de forte pluie, ces eaux, impropres à la consommation, devaient s’infiltrer et polluer l’eau potable du puits d’autant plus qu’aucun élément attestant la présence d’une margelle n’a pu être mis en évidence.

Le troisième fossé a été localisé au nord de la maison d’habitation sur une longueur d’environ 12m, toujours en diagonale par rapport à la pente du terrain, mais cette fois selon un axe N-NW / S-SE.

A son départ, au N-NW, il s’agit d’une sorte de cuvette peu profonde (0,20m) large de 2,50m et d’une longueur d’environ 9m qui se rétrécit fortement ensuite pour reprendre les dimensions habituelles d’un fossé (0,80m) puis se perdre à l’angle NE de cette maison d’habitation.

Le puits 1145

Ce puits se situe à quelques mètres à l’est de la construction C.

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Son ouverture était masquée par une couche de terre limoneuse épaisse d’une quinzaine de centimètres qui recouvrait une sorte de dépression de cuvette circulaire, aménagée dans le banc de craie et au centre de laquelle était creusé ce puits.

Cette cuvette correspond en fait à la partie supérieure d’un vaste cône de 6m de diamètre, d’une profondeur de 2m, au centre duquel le puits proprement dit a été creusé. Autour de son ouverture circulaire, un mur, d’une épaisseur de 0,60 à 0,80m, a été construit en prenant comme assise le banc de craie, la partie restante du cône ayant été ensuite comblée par la terre. L’orifice du puits ainsi aménagé nous est donc d’abord apparu à la fouille sous forme d’un empierrement circulaire avec au centre un remplissage de terre brune et de craie.

L’ouverture du puits n’a fourni aucun indice pouvant correspondre à l’aménagement d’une margelle ou d’un garde-fou en bois, ni même d’un quelconque système élévateur permettant de remonter à la surface les seaux remplis d’eau. Le puits proprement dit est d’un diamètre d’environ 2m, creusé avec soin dans la roche calcaire. Lors de la fouille, la nappe phréatique a été atteinte à une profondeur de 6,50m en 1991, 3e année de sécheresse.
A 4,60m de profondeur, un cuvelage de planches a été rencontré. Ce cuvelage, carré, était fait de planches d’une vingtaine de centimètres de large, épaisses de 3 ou 4cm, probablement en bois de chêne, encore nettement en place à certains endroits. Les dimensions de ce cuvelage sont de 1,05m de long sur 1m de large.

Celui-ci a vraisemblablement été aménagé dès l’instant où les puisatiers de l’époque ont rencontré l’eau, ceci afin d’éviter aux parois de s’ébouler. Les vestiges de ce cuvelage étaient parfaitement visibles sur une hauteur de plus d’un mètre (empreintes ou fragments de planches assez bien conservés).

Dans son ensemble, le remblai du puits assez homogène et quasiment vierge de tout mobilier à l’exception d’un fragment de bloc calcaire décoré, identique à celui découvert dans le fond de cabane 1015. Le comblement du dernier mètre était constitué de très gros blocs de pierres de taille d’une centaine de kilos intentionnellement jetés dans ce puits. Ils témoignent de la présence, à proximité, d’un édifice en dur construit en gros appareil.

Une tentative de datation par dendrochronologie sur des fragments du cuvelage en bois de chêne n’a donné aucun résultat, ces échantillons étant inexploitables.

Les matériaux de construction

À l’exception du solin de fondation en pierre de la maison d’habitation, tous les matériaux utilisés dans les diverses constructions étaient des matériaux périssables dont il ne subsiste que peu ou pas d’indices archéologiques.

Le bois

Son emploi est systématique pour tout ce qui concerne l’ossature des différentes constructions. Une analyse précise des charbons de bois permettrait, sans doute, de connaître les essences utilisées. Les données fournies par l’analyse des pollens des quelques prélèvements de terre indiquent la présence, à proximité immédiate du site, d’essences comme le pin, le tilleul, le noisetier, qui ont probablement été utilisés comme matériaux de construction. Il est vraisemblable que d’autres espèces plus résistances ont été choisies notamment pour les poteaux porteurs (chêne, châtaignier, acacia). Il n’est d’ailleurs pas exclu que certaines pièces maîtresses en bois dur aient pu être récupérées sur certaines constructions abandonnées ou démolies (cabanes 1000, 1031) afin d’être ensuite réutilisées pour de nouvelles constructions.

Si l’on excepte 3 ou 4 poteaux porteurs de la maison d’habitation qui semblent avoir été équarris ou simplement taillés grossièrement, tous les bois utilisés sont de section ronde et de taille moyenne. Les grosses sections (0,20 à 0,30m de diamètre) n’ont été utilisées que pour les bâtiments de surface et notamment la maison d’habitation.

Aucun indice ne nous est parvenu concernant les techniques d’assemblage et il est vraisemblable que les procédés les plus simples ont été utilisés : assemblage avec fourches, assemblage par entailles d’une de ces deux pièces, assemblage à l’aide de chevilles en bois et de clous en fer. L’utilisation de chevilles en bois est très vraisemblable car cette technique était employée pour certains coffrages de planches (cercueils en bois) de la nécropole.

La rareté des clous dans les structures d’habitat du site de Goudelancourt n’interdit pas de penser que ceux-ci aient pu être utilisés pour certains assemblages. En effet, ces clous sont employés en assez grand nombre pour confectionner les coffrages de beaucoup de sépultures de la nécropole. Au même titre que certaines pièces de bois, il n’est pas exclu que bon nombre de ces clous forgés aient pu être récupérés et réutilisés, ce qui expliquerait leur rareté.

Les végétaux (chaume, roseau)

Ces matériaux n’ont laissé aucune trace. Ils ont cependant dû être employés pour les couvertures de toits.

Ces toitures étaient composées soit de roseaux, soit de chaume (paille) utilisés sous forme de bottes, matériaux économiques, d’emploi et de pose faciles.

On trouve encore de nos jours ces roseaux en grande quantité à proximité du site de Goudelancourt, dans les marais de Pierrepont distants d’à peine 2km, attestés depuis au moins l’Antiquité et dans lesquels Saint Boétien s’était établi au VIIe siècle.

Rappelons enfin que ces matériaux, et notamment le chaume (paille de seigle), étaient encore utilisés dans les constructions traditionnelles de notre région il y a à peine un demi-siècle.

Le torchis

Ce matériau a été employé pour la confection des murs. Quelques fragments de torchis avec traces de clayonnage ont été découverts à Goudelancourt. Ces restes de torchis apparaissent sous forme de boule d’argile jaunâtre mélangée à de la paille avec, parfois, l’empreinte des branchages ayant servi pour faire le clayonnage.

Ce matériau traditionnel, réhabilité de nos jours, est encore utilisé pour diverses constructions dans le Nord du département de l’Aisne, en Thiérache.

Projeté frais sur un clayonnage de branchage (noisetier) il constitue, après séchage, un excellent isolant thermique et phonique d’une grande résistance.

Pierres, silex et autres matériaux de récupération

De nombreux blocs de craie et silex ont été utilisés notamment pour les calages des poteaux avec ou sans avant-trous, pour la confection des solins (fondation sommaire) de la maison d’habitation, de la construction C, et pour l’aménagement des parois et l’empierrement de l’ouverture du puits.

Ces matériaux proviennent certainement des excavations des cabanes ou autres fosses creusées dans le banc de craie, ou d’une carrière proche du site ou, enfin, d’un bâtiment antique à l’abandon. Il n’est pas impossible que dans certains cas, ces déblais crayeux aient pu être utilisés pour la confection de murets liés par de l’argile et destinés à recevoir des sablières basses.

Certains de ces blocs en pierre ont été retrouvés en assez grande quantité dans le remblai de divers fonds de cabanes (1015,1016) mais l’utilisation qui pouvait en être faite nous échappe.

A ces matériaux, disponibles sur place, s’ajoutent de nombreux fragments de tuiles et blocs de pierres de taille, parfois rubéfiés, vraisemblablement récupérés sur des sites gallo-romains voisins. Certains de ces blocs, retrouvés au fond du puits, provenaient d’un édifice voisin construit en gros appareil (construction gallo-romaine ou mérovingienne détruite lors de l’abandon du site ?).

Les tegulae se comptent par dizaines de kilos.

Le mobilier

Lorsqu’on examine le mobilier découvert sur le site de l’habitat et qu’on le compare à celui de la nécropole, on est tout d’abord frappé par sa rareté et sa pauvreté, qui contrastent nettement avec le mobilier issu des tombes.

A l’exception de quelques rares objets, tout le mobilier découvert est constitué de rejets détritiques, d’objets mis au rebut car détériorés ou brisés (aucun vase ne nous est parvenu entier ou même reconstituable).

La céramique

La céramique a fait l’objet d’une étude particulière par Didier Bayard. Nous prions le lecteur de bien vouloir se reporter à l’article suivant qui traite ce sujet.

Le matériel métallique

Il est particulièrement rare sur l’ensemble du site. Le matériel ferreux est le mieux représenté. Aucune arme n’a été découverte alors qu’elles sont particulièrement bien représentées dans la nécropole.goudelancourt-mobilier-en-fer

Le mobilier en fer : couteaux (1000a, 1000b, 1022, 1077), ardillon (1015), fermoir d’aumonière ? (1016), fragment de bague (1051a) et d’anneau (1051b), clous (c), et fragments non identifiés (1036a, 1036b).

Les objets découverts se résument à quatre couteaux en fer, un ardillon, une bague, un fragment probable de plaque de ceinture, un fermoir d’aumonière, un anneau, trois gros maillons d’une chaîne en fer et une clochette (sonnaille).

Les clous en fer, bien que peu nombreux (une vingtaine au total), ont été retrouvés dans 50% des structures qui correspondent presque toutes à des bâtiments de surface ou des cabanes excavées.

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mobilier en fer : sonnaille (B1), élément de chaine (B3), contre-plaque de ceinture ? (1123), éléments divers non identifiés (B2, B4, 1010, 1005)

A côté de ces ustensiles divers, il convient de noter la présence de nombreux résidus de métallurgie comme les scories découvertes dans plusieurs structures, témoins d’une activité métallurgique.

Le matériel en bronze se compose essentiellement d’un fragment d’aiguille, deux épingles à spatule, une épingle à coiffure à renflement polyédrique, un fragment triangulaire non identifié et un rivet.

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Quatre monnaies ont été découvertes sur le site ; toutes sont des remplois gallo-romains des IIIe et IVe siècles.

Bijoux et éléments vestimentaires

Exception faite des épingles à coiffure en bronze déjà citées, d’un fragment de bague en fer et d’un ardillon de ceinture considérés comme éléments vestimentaires, les rares bijoux découverts se résument à une dizaine de perles en terre cuite ou en pâte de verre et à un fragment de bracelet en verre bleu foncé d’origine gallo-romaine.

Les objets divers

Le verre est représenté par une dizaine de fragments dont 6 cols correspondent à des gobelets de petite taille ou à des flacons.

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Élément architectural en deux parties ou stèle provenant de la cabane 1015 et du puits 1145

Quelques objets en os ont été découverts : un peigne, un fragment décoré (élément de garniture d’un coffret) et une fusaïole (tête d’os percée).

Des lames et grattoirs en silex ont été trouvés dans plusieurs structures et parfois en assez grande quantité (cabanes 1036, 1031, 1022). Un morceau de hache polie a même été rencontré dans la fosse 1123 proche du bâtiment B.

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Le mobilier en bronze : grande épingle à renflement polyédrique et fragment (1000), épingles (1000, 1025, 1010), rivet (1018), élément non identifié (1005) – Les perles en terre cuite et pâte de verre (B1 à 4, E1 et 2, 1120, 1126, 1127), – Fragment de bracelet en verre bleu nuit de l’époque gallo-romaine (E), – Fragment d’une plaque en os (B)

Autres ustensiles de la vie quotidienne : trois pierres à aiguiser et un fragment de meule.

Les quelques témoins d’une activité textile se limitent à 3 fusaïoles dont une en os, et à un poids (ou peson ?) probablement d’un métier à tisser, malgré une forme très rudimentaire. Un véritable peson de métier à tisser a été découvert dans la maison d’habitation (bâtiment D).

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Poids de tissreand ? (1018), fusaïole en craire (1012, 1028), fusaïole en os (B), pierres à aiguiser (D, 1123), fragment de hache polie (1123)

La rareté ou l’absence totale de certains types d’objets explique la difficulté d’établir des parallèles entre la nécropole et l’habitat dans le but de proposer une datation.goudelancourt-poids-de-metier-a-tisser

Poids de métier à tisser provenant du bâtiment D

La plupart des objets découverts sont atypiques à l’exception des grandes épingles à renflement polyédrique qui correspondent dans la nécropole, aux phases C D E (560/70 à 580/90) et D E F (580/90 à 620/40).

Parallèles généraux concernant Goudelancourt

En France, toutes les références à des habitats du haut Moyen Age fouillés récemment concernent des sites ayant fait l’objet de sauvetages en liaison avec de grands travaux (TGV, autoroutes) et qui n’offrent que des vues bien souvent partielles de ces habitats (décapages limités à l’emprise des travaux). Parallèlement à de nombreuses fouilles de sauvetage en Picardie, le site de Goudelancourt a fait l’objet, lui, d’une fouille programmée. Malgré la superficie décapée, assez modeste (2ha en incluant tous les sondages exploratoires), nous pensons avoir réussi à cerner la quasi-totalité des structures correspondant à une unité agricole et domestique parfaitement datable.

Rares sont en effet les sites du haut Moyen Age offrant des structures datables des VIe et VIIe siècles et correspondant à une unité agricole et domestique quasiment complète avec maison d’habitation, puits, bâtiments annexes et cabanes excavées. Rares encore sont les sites, pour les VI / VIIe siècles, permettant d’associer une nécropole à une partie de son habitat.

Encore plus rares sont les constructions considérées comme maisons d’habitation offrant un plan parfaitement clair, construites sur solin en pierres et, de surcroît, possédant un foyer, un âtre avec conduit d’évacuation de type cheminée.

Le site de Goudelancourt est à ce point de vue particulièrement intéressant.

Enumérer un à un tous les sites en France comme à l’étranger ayant livré des structures du haut Moye Age deviendrait vite fastidieux pour le lecteur, d’autant plus que certaines structures, comme les cabanes excavées, sont désormais bien connues (DEMOLON, 1972 ; SCHWEITZER, 1984 ; CHAPELOT, 1980 ; FARNOUX, 1987…).

De même, passer en revue tous les sites ayant livré des trous de poteaux correspondant à des constructions de surface n’offre ici guère d’intérêt. Le mémoire de maîtrise soutenu par Edith Peytremann sur L’habitat rural au haut Moyen Age (juin 1992) nous offre un catalogue quasiment exhaustif de tous ces sites.

Dans ce chapitre, nous nous limiterons à quelques rapides comparaisons en ne mentionnant que des sites ayant livré des structures assez comparables à celles de Goudelancourt.

A ce titre, Juvincourt, dans l’Aisne, fait office de référence obligatoire.

Le site de Juvincourt

Juvincourt-et-Damary  » Le Gué de Mauchamp  » situé dans le département de l’Aisne, est le site le plus proche de celui de Goudelancourt. Distant d’une vingtaine de kilomètres, il a fait l’objet d’une fouille de sauvetage dirigée par Didier Bayard de 1984 à 1991 sur le tracé de l’autoroute A26.

Site de référence par excellence, il fut pour le Nord de la France le premier gisement à démontrer l’existence de grandes constructions de surface à ossatures de poteaux de bois associées à d’autres structures de type cabanes excavées. Au total, le site de Juvincourt a livré 5 grands édifices certains et 3 ou 4 plus hypothétiques, associés à plus de 60 fonds de cabanes.

Le plus complet de ces bâtiments, le bâtiment B, dans sa phase finale atteint 80m². Didier Bayard y distingue 3 phases de construction successives, d’où une assez longue période d’occupation. La phase 1 correspond à un édifice à 2 nefs délimitées par un alignement de 4 poteaux faîtiers. Il mesure 11,50m de long et 4,80m de large. Le reste de l’ossature se compose d’une quinzaine de poteaux porteurs. La superficie totale, pour la phase 1, serait de 57m².

Il s’agit à l’origine d’un type de construction à 2 nefs, assez proche de la maison de Goudelancourt et que Didier Bayard interprète comme une maison d’habitation malgré l’absence de foyer conservé.

L’ensemble de ces constructions correspondrait à un  » village  » à plusieurs noyaux composés de bâtiments de grande taille associés à des cabanes excavées, diverses fosses et silos. Cet ensemble aurait connu un développement progressif vers le nord.

Didier Bayard distingue 2 phases essentielles dans l’évolution du site :

  • une 1ère phase datable du VIe et de la première moitié du VIIe siècle et qui correspond à une douzaine de fonds de cabanes à 2, 4 et 6 poteaux ainsi que 4 bâtiments de surface
  • une 2ème phase datable de la seconde moitié du VIIe siècle jusqu’au début du IXe siècle et qui correspond à plusieurs bâtiments de surface dont certains encadrent une cour fermée par une palissade, des fonds de cabanes et des silos.

Les autres sites

Ailleurs, en France comme à l’étranger, les bâtiments de surface à une, deux, voire trois nefs sont mentionnés sur de nombreux sites. La plupart de ces constructions, repérables d’après les trous de poteaux, offrent des dimensions très variables. Vu l’état de la recherche sur l’habitat rural, rares encore sont les sites pour lesquels les chercheurs proposent une datation précise.

Les datations proposées couvrent généralement une longue période d’occupation (VIe au XIe s.) sans que les phases d’occupation et les structures qui s’y rapportent aient pu être clairement définies.

Les bâtiments à une seule nef

Il s’agit bien souvent de bâtiments de forme rectangulaire constitués de 2 murs parallèles à ossature de poteaux de bois. La superficie de ces constructions est très variable.Ce type de structure est relativement peu fréquent et il est mentionné essentiellement sur des sites du Nord de la France et quelques autres en Allemagne : Burgheim (KRÄMER, 1951, 1952), Kirchheim (DANNHEIMER, 1970 ; CHRISTLEIN, 1980), Zimmern (FEHRING et LUTZ, 1969 ; LUTZ, 1970).

Pour la France du Nord, mentionnons :

  • Régions Nord et Picardie : Vitry-en-Artois, dans le Pas-de-Calais (DEMOLON, 1987, 1988), Juvincourt, dans l’Aisne (BAYARD, 1985, 1987, 1988, 1989) ;
  • Ile de France : Belloy-en-France, dans le Val d’Oise (GUADAGNIN, 1987), Coupvray, en Seine et Marne (SPELLER, 1990) ;
  • Bourgogne : Passy, dans l’Yonne (BARBIER, 1985, PERRUGOT, 1986-1987), Champlay, aussi dans l’Yonne (PERRUGOT, 1982, 1991) ;
  • Lorraine : Eply, en Meuthe-et-Moselle (CUVELIER, 1988) et Frouard, dans le même département (HENROTAY, 1991).

Ce type de bâtiment à une seule nef est très souvent considéré comme annexe économique. Le bâtiment E de Goudelancourt correspond à ce type de structure.

Les bâtiments à deux nefs

Il s’agit, là encore, de bâtiments de forme généralement rectangulaire constitués de 3 rangées de poteaux parallèles. Leurs dimensions sont très variables et diverses variantes sont proposées quant au plan ou à l’aménagement interne de ce type de construction (formes trapézoïdales, appentis, galeries ou annexes accolées, porches d’entrée, voire subdivisions internes).

On trouve ce type de construction essentiellement en Ile-de-France à Villers-le-Sec, dans le Val d’Oise (GUADAGNIN, 1988), à Baillet-en-France, toujours dans le Val d’Oise (BADUEL, 1977 ; GUADAGNIN, 1988), à Serris, en Seine-et-Marne (FOUCRAY et GENTILI, 1990, 1991), à La Grande-Paroisse, aussi en Seine-et-Marne (PETIT, 1985, 1987, 1989) ainsi qu’en Champagne à Torcy, dans l’Aube (GEORGES et LEROY, 1991), et en Bourgogne à Passy (BARBIER, 1985 ; PERRUGOT, 1986, 1991), à Champlay (PERRUGOT, 1982, 1987, 1991), ces deux sites étant dans l’Yonne et à Genlis, dans le Côte d’Or (CATTEDU, 1992).

En Allemagne, plusieurs constructions de ce type sont aussi mentionnées : Gladbach (STOLL, WAGNER, 1937 ; WAGNER, HUSSONG, MYLIUS, 1938, SAGE, 1969), Zimmern (FEHRING et LUTZ, 1969, LUTZ, 1970), Burgheim (KRÄMER, 1951, 1952), Kirchheim (DANNHEIMER, 1973, CHRISTLEIN, 1980), Zolling (DANNHEIMER, 1974).

Ces bâtiments à 2 nefs sont qualifiés tantôt d’annexes économiques (granges, étables), tantôt de maisons d’habitation.

Pour quasiment tous les sites, les datations proposées s’échelonnent des VIIe-VIIIe aux Xe-XIe siècles.

Les bâtiments à solins de pierres ou fondations

Pour le Nord de la France, les bâtiments à solins ou fondations de pierres sont peu nombreux. Ils constituent indéniablement une étape importante dans l’évolution de la construction au haut Moyen Age en protégeant de l’humidité les sablières basses.

La documentation est peu abondante, la datation imprécise et la fonction mal définie (annexes, maisons d’habitation).

Il convient de classer ces constructions en deux catégories :

  • les bâtiments à solins ou fondations de pierres supportant des sablières basses continues comme en Champagne à Juvigny, dans la Marne (BEAGUE-TAHON, 1991), en Ile de France à Belloy-en-France, dans le Val d’Oise (GUADAGNIN, 1988), en Lorraine, à Frouard, dans la Meurthe et Moselle (HENROTAY, 1991), dans le Nord à Les Rues-des-Vignes, département du Nord (FLORIN, 1983), en Picardie à Juvincourt, dans l’Aisne (BAYARD, 1988, 1989), en Normandie, dans le département du Calvados, à Mandeville (LORREN, 1981, 1983, 1985, 1989) et à Vieux (COUANON et FORFAIT, 1990, 1991). Les datations proposées pour ces constructions concernent toute la période carolingienne (du VIIIe au Xe siècle).
  • les bâtiments à solins ou fondations de pierres incluant des poteaux de bois (sablière basse discontinue). En l’absence de plan précis, il est difficile d’avancer des exemples de constructions de ce type. Bien souvent, il est fait mention de bâtiments associant solins de pierres et poteaux, sans précision aucune (poteaux inclus dans les solins ou rangées de poteaux faîtiers et solins ?). C’est le cas pour les sites normands de Sannerville (PILET, 1983, 1984) et Vieux (COUANON, 1987, COUANON et FORFAIT, 1990-1991), tous deux dans le Calvados. Sur divers sites allemands, on parle de tranchées de calage (solin ?) : Zimmern (FEHRING et LUTZ, 1969, LUTZ, 1970), Burgheim (KRÄMER, 1951, 1952), Kirchheim (DANNHEIMER, 1973, CHRISTLEIN, 1980).

La maison de Goudelancourt présente un solin de ce type.

Les bâtiments avec foyer

En l’absence de foyer, la superficie comme les améliorations techniques successives apportées à une construction peuvent, dans certains cas, être considérées comme des indices d’habitation. Cependant, pour tous les chercheurs, le critère fondamental à prendre en considération, lorsqu’on avance l’hypothèse d’une maison d’habitation, est la présence ou non à l’intérieur du bâtiment d’un foyer.

En France, comme à l’étranger, rares sont les sites possédant des bâtiments avec un foyer clairement défini et repéré :

  • en Ile de France, à Villiers-le-Sec (Val d’Oise), Rémy Guadagnin (1988) signale un foyer dans la maison à 2 nefs du manse I (12,50 X 5,50m) qu’il date du IXe siècle. Ce foyer était creusé et aménagé avec des pierres au centre de la partie nord de cette maison
  • en Bourgogne, à Passy (Yonne), D. Perrugot (1986-1991) signale sur les 10 bâtiments découverts, un édifice (la maison B à 2 nefs et porche latéral) possédait 3 foyers ( ?) et il propose une datation au début du VIIIe siècle
  • en Lorraine, à Frouard (Meurthe-et-Moselle), D. Henrotay (1991) fait état d’un bâtiment avec soubassements de pierres et poteaux, possédant un foyer qu’il date de l’époque carolingienne. A Eply, dans le même département, P. Cuvelier (1988) mentionne un bâtiment de surface possédant un foyer interne dont la datation serait VIIe / VIIIe siècles
  • en Normandie, à Mandeville (Calvados), Cl. Lorren (1983, 1985, 1989) signale un bâtiment rectangulaire à solins de pierres avec un foyer aménagé sur une dalle de grès au centre de la construction datée du VIe au VIIIe siècle

En Allemagne aussi, quelques sites font état de constructions possédant un foyer :

  • à Renningen Becken dans le Bade Württemberg (1991), 5 bâtiments à 2 nefs de 40 à 87m² possédaient un foyer dans leur partie sud. La datation s’échelonne du VIIe au XIIe siècle
  • à Zimmern, G P. Fehring et D. Lutz signalent 2 constructions possédant un foyer : le bâtiment 1 (6,50 X 8,50m) avec poteaux et tranchée de calage possède un foyer à proximité du grand côté ouest, le bâtiment 3 (5 X 8,50m) possède un foyer près du pignon occidental. Pour ces deux bâtiments, la datation va du VIIIe siècle au milieu du XIe siècle
  • à Burgheim, W. Kramer (1951-1952) signale 2 foyers au centre de la maison 1 (17 X 6m) à ossature de poteaux de bois et tranchée de calage. La datation proposée va du VIIe au IX siècle.

Le foyer découvert dans la maison du site de Goudelancourt est unique car il s’agit d’un âtre et qu’il est parfaitement datable de la seconde moitié du VIe siècle. Jusqu’à présent, aucun site en France et en Europe de l’Ouest ne signale un foyer comparable pour cette époque.

Parmi toutes ces références, quelle place réserver au site de Goudelancourt ?

Au vu des divers sites mentionnés précédemment, celui de Goudelancourt occupe une place de premier plan du fait de certaines caractéristiques qui font exception :

  • en matière de datation, puisqu’il ne possède que des structures datables des VIe et VIIe siècles qui témoignent d’une assez brève occupation du site
  • de par la nature des structures qui correspondent à une unité agricole et domestique complète avec une maison d’habitation et des constructions considérées comme annexes économiques (bâtiments à une ou deux nefs, cabanes excavées)
  • par la mise en évidence d’un plan de maison parfaitement clair et qui témoigne d’un assez haut niveau technologique pour les constructions de l’époque d’une largeur de 6m, ce qui implique une parfaite connaissance des techniques de charpente ; l’utilisation de solins de pierres destinés à protéger de l’humidité les sablières basses ; l’utilisation de sablières basses discontinues et des poteaux porteurs inclus dans ces solins de pierres
  • par la découverte d’un âtre dans cette maison, caractéristique tout à fait exceptionnelle pour le haut Moyen Age en France comme à l’étranger, qui plus est pour les VIe-VIIe siècles

Tous les foyers signalés jusqu’à présent sont généralement localisés au centre des maisons. Aucun site ne fait état d’un foyer adossé à un mur, d’un âtre encadré par deux poteaux servant de support à un conduit d’évacuation, une cheminée.

Conclusion provisoire

Au stade actuel de la recherche, les structures d’habitat découvertes à Goudelancourt semblent correspondre à une assez vaste unité agricole et domestique ( » ferme « ) comprenant plusieurs constructions de plain-pied, dont une maison d’habitation construite sur solins de pierres et disposant d’un âtre (exceptionnel pour l’époque) puis un à trois bâtiments annexes (forge ?), constructions regroupées à proximité d’un puits et protégées des eaux de ruissellement par des fossés de drainage.

Complètent cette exploitation de nombreuses cabanes à fond excavé disséminées sur une assez grande superficie au nord des constructions de plain-pied, et pour lesquelles il est encore hasardeux de proposer une fonction économique précise.

Il convient de noter toutefois qu’au centre de cet ensemble de cabanes semble se dégager une zone à vocation domestique comportant plusieurs fours (?) ainsi qu’un probable bas fourneau.

Étant donné l’état de la recherche sur le site, notre conclusion ne peut être que provisoire. Si nous sommes persuadé d’avoir pu clairement mettre en évidence l’équivalent d’une unité agricole et domestique, nous sommes certainement très loin d’avoir cerné la totalité des structures correspondant à l’habitat.

Nous sommes en effet convaincus que plusieurs autres unités agricoles se répartissent dans le fond de vallée, au pied de la colline où se situe la nécropole.

Si les divers sondages effectués à l’est de la zone fouillée se sont révélés négatifs, un autre faisant suite à une prospection de surface a permis de mettre au jour 2 fonds de cabanes excavées à 6 poteaux (1121, 1122) à 160m à l’ouest (secteur 2). Ces 2 cabanes, loin d’être des structures isolées, correspondent sans aucun doute à une autre unité agricole située plus à l’ouest.

De même, les quelques prospections de surface effectuées jusqu’à présent ont permis de mettre en évidence de nombreux vestiges provenant d’autres structures d’habitat, situées encore plus à l’ouest, en bout de colline, à l’endroit précis où la voie ancienne ( » Le Chemin de Reims « ) coupe la vallée en diagonale, de même qu’en direction du village de Cuirieux, soit à près d’un kilomètre de la zone fouillée.

Seule la poursuite des fouilles à l’aide de grands décapages permettra de mieux appréhender cette question et d’apporter des éléments de réponse aux nombreuses interrogations que se posent encore les chercheurs sur l’émergence du  » village « , le peuplement des campagnes au haut Moyen Age et, notamment, à l’époque mérovingienne.

Pour cela, une problématique de recherche axée sur un finage, un terroir précis incluant l’étude des vestiges gallo-romains (villa réoccupée ?), voire des vestiges postérieurs à l’occupation du site de Goudelancourt, apportera sans aucun doute des éléments de réponse à des questions d’ordre général ou à des questions directement liées au site lui-même :

  • le plan global de cet habitat coïncide-t-il effectivement avec la configuration en 2 noyaux de la nécropole ?
  • l’habitat de Goudelancourt est-il révélateur d’une structure sociale bien particulière ?
  • s’agit-il effectivement de plusieurs unités agricoles réparties en fond de vallée ? Certaines d’entre elles sont-elles accolées pour former une sorte de  » village-rue  » ?
  • d’où proviennent et à quel édifice d’importance tout proche correspondent les nombreux blocs de pierres de taille ou certains éléments architecturaux découverts sur le site de l’habitat ? (chapelle funéraire mérovingienne ?)
  • quand, pour quelles raisons, ce site a-t-il été abandonné, et au profit de quel autre lieu ?

Remerciements

Mes plus sincères remerciements et le gage de toute mon amitié à Gabriel Renard, sa famille, à Jean-Luc Tétart ainsi qu’à tous les bénévoles qui ont permis la fouille du site de Goudelancourt. Une attention particulière pour Marie-Thérèse Cariou, pour son aide et son soutien constant dans cette entreprise.